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Vademecum 3C ®©

vendredi 25 mai 2012, par Florian Reynaud

Le Ministère de l’Éducation nationale, ancienne promotion, rend public, à la veille des passations de pouvoir, une pilule qui paraît déjà difficile à avaler pour les professeurs documentalistes, pour la profession : Vademecum 3C ®©.

Prescrit sans ordonnance ni décret, ce texte répond à l’idée d’une expérimentation conseillée par la circulaire de rentrée 2012 [1].

Après un blocage de plusieurs années sur l’évolution nationale du CDI, limitée sur des idées très bureaucratiques d’une politique documentaire qui mettait à l’écart toute autre ambition pédagogique réelle, l’institution souhaite inspirer des changements, après le Pacifi, sans grande considération pour le travail effectué depuis toutes ces années par les professeurs documentalistes, qui travaillent souvent tant dans l’expérimentation que ce terme peut ne plus avoir beaucoup de sens à leur goût. Ce personnel et leurs formateurs auront peut-être des difficultés à lire ainsi que « le CDI apparaît à nouveau comme un lieu d’innovation » (p. 2), comme si la considération du travail de ces fonctionnaires avait disparu avec le respect qui leur était dû. Cette expression paraît d’autant plus étrange que plusieurs personnalités du groupe de travail, citées en fin de document, travaillent depuis plusieurs années à la formation des stagiaires et néo-titulaires pour mettre en avant des pistes qui apparaissent pourtant comme nouvelles ou novatrices dans cette expérimentation.

Pour marquer le coup d’éclat, il s’agit surtout de changer le nom, mais pas seulement toutefois, vers un learning centre inspiré de nations qui basent leur système éducatif sur des fondements de moralités, plus ou moins religieuses, plutôt que de valeurs républicaines, qui ne supposent pas tant le développement de l’esprit critique que l’adaptabilité économique et morale de leurs institutions scolaires, sans besoin, dans certain cas, d’une autre médiation que technique à l’utilisation des ressources imprimées et numériques. La spécificité française d’un pôle pédagogique en construction autour de l’information-documentation, disparaît. L’histoire de l’accès aux ressources dans les établissements scolaires et de l’enseignement de notions et de compétences info-documentaires, est finalement balayée d’un revers de la main. Le modèle étranger, aussi légitime ou illégitime soit-il, mis en avant par d’autre rapport sur des bases statistiques manipulées [2], est l’objet d’un engouement qui, s’il pourrait apporter des idées, conduit ici vers la destruction d’un modèle français qui, s’il avait été développé autrement, aurait pu participer à une réflexion internationale menant à des échanges de pratiques. On a choisi là de plaquer un modèle différent sur un lieu, à partir duquel on définit les rôles, sur des principes utilitaires (de services), plutôt que pédagogiques.

On appréciera, dès le début, que « ce nouveau cadre permet aussi au professeur documentaliste d’assurer une formation des élèves à la culture de l’information et des médias en développant les collaborations avec ses collègues. » (p. 3) Malheureusement, sur 60 pages, on oublie rapidement cet aspect, ce qui n’est pas sans poser plusieurs problèmes pour l’avenir de la profession. A travers les différentes fiches de ce guide, on voit rapidement les limites de ce projet, l’inégalité consolidée entre établissements, partant d’un lieu pour définir des pistes concrètes au lieu de partir de projets pédagogiques et de personnels qui verraient leur statut officiellement redéfinis. S’agissant d’une expérimentation, on peut déjà, vu l’absence de nouveautés révolutionnaires, donner un point de vue sur l’ensemble des chapitres et pistes présentées, avec une difficulté majeure, tout au long du document, à appuyer les raisons de la publication de ce texte.

Vade me cum, recta in murum

Ils auront beau établir un diagnostique de leurs besoins en ressources imprimées et numériques, éventuellement estimer ces besoins, sur l’expertise du professeur documentaliste, les établissements ne dépendront pas moins de budgets définis au niveau départemental et régional, certaines institutions de ce type se permettant une mainmise importante, contre la liberté pédagogique des professeurs de discipline et professeurs documentalistes, contre l’autonomie supposée des EPLE. Cette mainmise, soit dit en passant, ne touche pas seulement les ressources, mais aussi l’ensemble des projets qui peuvent être portés dans les établissements. On peut par exemple toujours estimer qu’il est plus pertinent, sur l’aspect pédagogique auprès des élèves, de travailler pour la recherche documentaire avec des ressources gratuites en ligne, en gardant toujours le soin de ressources imprimées conséquentes, on peut toujours présenter un budget avec ces exigences. L’irrespect des institutions locales envers l’autonomie des établissements, pose une limite réelle à ce sujet. Ce texte n’a pas le pouvoir de changer l’existant, à ce niveau. Il s’agit d’engager un travail important sans l’assurance d’avoir un retour quelconque de la collectivité territoriale concernée, qui base son action sur ses propres perspectives plutôt que sur l’intelligence de diagnostique de chaque établissement. On donne en outre l’impression qu’on ne peut rien espérer, en termes techniques, financiers, tant qu’un projet révolutionnaire n’est pas affiché et communiqué...

Les pistes d’action de la première fiche se dégagent de cette problématique essentielle. Mais on pointe un autre souci important, celui de la gestion de l’ENT, de la maintenance du parc informatique. Aucune mesure concrète n’est prise pour aider les établissements à faire face à l’augmentation légitime des parcs informatiques, avec un personnel qui y soit consacré, et le professeur documentaliste semble avoir bon dos à ce sujet : il est question d’alourdir sa tâche, comme il paraît le premier concerné, au sujet des manuels scolaires numériques, ou encore au sujet de la mise en avant de serious games, de la mise en place d’un catalogue partagé entre centres de ressources de proximité, de la mise en place d’un ENT compatible avec les supports numériques mobiles. Il est clair que le fait d’augmenter les charges de gestion du professeur documentaliste, même s’il ne s’agit là que de « pistes », vient à l’encontre de la part du travail pédagogique, sur les apprentissages qu’il peut assurer.

La difficulté de l’expérimentation se trouve véritablement dans son inscription sur le seul lieu. On n’observe pas de considérations au sujet des missions, au sujet des statuts, là encore en favorisant l’inégalité entre les établissements. Cette inégalité s’affirme aussi quand il s’agit de mettre en valeur le rôle des collectivités territoriales, sur le bon-vouloir des équipes de direction, des équipes pédagogiques, sur la base de stabilités qui ne sont pas systémiques. Le vadémécum passe par la constitution de projets, quand il manque une politique nationale cohérente qui précise les compétences professionnelles légitimes de chacun dans les établissements ; à moins qu’il ne s’agisse d’imposer à terme l’expérimentation sans retour d’expérience, afin de justifier une redéfinition de statuts a posteriori, ainsi donc sur un projet discutable à son origine.

Vade me cum, immobile

« Mettre les espaces et les temps au service de chacun des élèves », « Répondre aux attentes de la communauté éducative ». On peut oublier donc le triangle pédagogique, dans ce cadre, estimer que l’action éducative s’exerce sur deux pôles, avec une hiérarchie de service, avec des enfants et parents au sommet, des équipes pédagogiques à la base, ces dernières ayant pour tâche d’amener des réponses aux attentes du sommet. Les parents sont garantis de pouvoir surveiller l’entre-deux, à côté des chefs d’établissement, afin de redéfinir les services attendus auprès des enseignants, des personnels de la vie scolaire, au cas où persisteraient les malentendus...

Il s’agit par ailleurs - on revient précisément au 3C, d’« accueillir dans un cadre convivial et chaleureux ». L’intitulé est insultant, à l’égard de l’existant, mais on ne s’arrête pas à cela. On notera que la dimension pédagogique, par des apprentissages, n’est pas privilégiée. On parle encore même, en mai 2012, d’animation, seulement d’animation... Heureusement qu’on ne voit pas en parallèle, nulle part dans le rapport, la notion de progrès, que l’innovation ou le développement ne présagent pas d’ailleurs. Le personnel serait donc dorénavant au service des élèves et des parents. Il ne s’agit plus d’un modèle républicain de l’école formatrice, transmettant des contenus et des méthodes d’apprentissage ; il s’agit bien de répondre aux besoins des personnes que l’on accueille. Pour tout le reste, là encore, il n’y a aucune nouveauté dans cette expérimentation. Tout ce qui s’ajoute, finalement, consisterait en un temps peut-être perdu de gestion supplémentaire.

Une autre façon de revenir sur le principe de l’école républicaine, c’est de « mieux utiliser les temps pour favoriser les apprentissages et usages à la carte » (ch. 7). Voici pour le titre. Et pour le reste, rien de bien concret. On se demande s’il y a une idée de la gestion des temps d’apprentissage entre collègues. On pourrait croire, à lire ce texte, que les professeurs documentalistes sont actuellement incapables de mettre en œuvre des transmissions de contenus et des activités pédagogiques associées, alors que l’institution n’a pas la volonté de dépasser le terme d’animation et de définir des objectifs pédagogiques réels tel qu’ils peuvent être développés par les professeurs documentalistes et professeurs de discipline, éventuellement de manière officielle autrement qu’avec le Pacifi.

On réduit le CDI à un « service » avec le 3C, c’est un changement qui n’est pas identifié clairement dans l’incipit et dans les textes précédents. Le service rendu ne s’estime que sur le taux de fréquentation et le taux de satisfaction, quitte à oublier le volume des collections, sans égard à présent pour les bases de la bibliothéconomie qui font partie du métier du professeur documentaliste. Les trois premières pistes d’action du chapitre 12 n’apportent aucune nouveauté. Mais à ce point arrivé on peut souligner que la présence de très nombreuses pistes qui sont déjà l’essence d’un grand nombre de CDI, met en évidence tout ce qu’on n’inscrit pas, volontairement, de ce qui existe autrement, et surtout les missions pédagogiques du professeur documentaliste dans le cadre d’apprentissages assurés et assumés, qu’on se garde bien ici de développer.

Le bureau du COP dans le CDI me paraît une très mauvaise idée, et cela supprime en passant une salle de travail pour les élèves (à moins qu’il soit prévu de reconstruire tous les établissements). La question du kiosque Onisep, ainsi que du webclasseur orientation, méritent une étude à eux seuls, en termes de moyens financières, de recul sur expérimentation, d’opacité. Mais on peut s’arrêter sur le PDMF, comme cela peut faire mal de voir que c’est seulement là qu’on parle d’une initiation des élèves « à la prise en main des ressources documentaires, numériques en particulier », pour l’orientation donc. Pour le reste de l’information documentation, on fait des animations (costumées ?), avec des groupes d’élèves, pour ceux, rares a priori, qui n’ont pas la chance d’avoir des compétences innées de maîtrise et de recherche.

Vade me cum, vade retro

A travers le chapitre 8, on confirme l’individualisation d’apprentissages, pour favoriser la notion d’espace « augmenté », tout en continuant de refuser l’inscription d’une véritable formation à l’information-documentation et à l’éducation aux médias. Il s’agit d’adapter les horaires au public qui peut venir quand il le veut, quand il le peut, plutôt que d’adapter des enveloppes horaires financées aux projets pédagogiques (sur un souci de formation commune à l’information-documentation et à l’éducation aux médias) ou à la surveillance des élèves en autonomie, sur la gestion possible, partie essentielle de tout le travail, des temps d’apprentissage et des emplois du temps des personnels de vie scolaire.

Il s’agit bien là d’un recul, dans le sens où, au lieu de présenter d’abord des moyens concrets d’assurer un enseignement en classe et groupes pour tous les élèves sur des apprentissages nécessaires, au lieu de mettre ensuite en valeur la nécessité pour les inspections et rectorats d’assumer l’encadrement minimal des élèves sur tous les temps scolaires, dans des lieux adéquats (foyer, CDI, salle de permanence, cadre extérieur), au lieu d’accorder en tout cela une place légitime à des apprentissages annexes et électifs, on part du dernier point pour organiser l’ensemble. Le principe du décloisonnement des espaces est particulièrement intéressant, mais si l’on ne prend pas le problème par le bon bout, la proposition paraît comme un moyen d’améliorer seulement le temps scolaire de l’élève en dehors des séances de discipline, ce qui n’est pas rien, mais très insuffisant pour autant. Le professeur documentaliste est renvoyé « à des missions d’accompagnement, de conseil et d’expertise » sur le temps dégagé par certaine gestion finalement elle aussi « augmentée », plutôt qu’à des missions d’enseignement.

On revient au SDI, avec là encore une charge supplémentaire pour les professeurs documentalistes (ch. 13). La première piste d’action ressemble à une vaste blague (« Favoriser l’appropriation des outils numériques par les personnels »), la seconde y ressemble encore, peut-être sur un niveau supérieur (« Créer, organiser et animer des espaces numériques facilitant et permettant aux enseignants d’actualiser leurs connaissances, de diffuser ou de partager leurs productions. »). Le dernier point, je ne le comprends pas (« Favoriser les apprentissages transversaux par la construction d’espaces collectifs dans le cadre de l’accompagnement personnalisé, du parcours de formation à la culture de l’information. »), ce qui s’avère très pratique, vu ce dont il pourrait être question, pour des chefs d’établissement qui ne veulent rien entendre de fermeture de CDI aux élèves de la permanence, tandis que le professeur documentaliste continue de porter à bout de bras cette nécessité d’organiser des séances pédagogiques qui lui sont spécifiques...

Conclusio

On veut créer de meilleures conditions d’apprentissage sans aucune piste d’action qui représente une quelconque nouveauté par rapport à l’existant. C’est la magie de Vademecum 3C ® ©. Sur les cinq points clés donnés au final, le dernier, tout dernier paragraphe du rapport, est intéressant, déjà retenu, il répond à l’incipit, mais il s’agit surtout d’accueil [3], sans ambition [4] à l’intérieur du rapport au sujet des apports pédagogiques du professeur documentaliste, que l’on noie dans l’organisation du lieu...

Je pense qu’il serait intéressant de mettre en contact l’inspecteur en charge des notions documentaires, l’inspecteur en charge des espaces documentaires, l’inspecteur en charge des professeurs documentalistes et l’inspecteur en charge du développement des apprentissages liés à l’information-documentation et à l’éducation aux médias ; vu l’importance de ces quatre pôles, légitimée par des quantités d’études scientifiques, pédagogiques, ils ont tous une raison d’exister, éventuellement dans un seul homme.

Pour ma part je continue de faire mon travail, très consciencieusement, je creuse des pistes, je ne souhaite pas perdre de temps à engager des expérimentations pour ne rien obtenir de concret, si ce n’est la surcharge de travail bureaucratique, administratif, que cela suppose (on en revient souvent à ce glissement du pédagogique vers l’administratif, c’est franchement dommage). Je prends en considération des points d’action cités dans ce vadémécum, malheureusement trop peu. Je ne demanderais même pas d’excuses publiques pour les insultes qui nous sont adressées dans ce texte, j’essaie pour ma part de dépasser ce manque d’ambition politique et pédagogique. Mais je continue de discuter avec les CPE, avec l’équipe de direction, avec les collègues de discipline, et on continue de faire avec ce que nous donnent l’inspection, le rectorat et le Conseil général, avec finalement peu d’occasions de discuter avec ces différentes instances et de construire sur des bases solides et innovantes autrement qu’à l’interne et sur nos propres volontés.

Documents joints

Notes

[1Le texte est disponible sur le site Eduscol, http://eduscol.education.fr/cid60332/vers-des-centres-connaissances-culture-vade-mecum.html (consulté le 25 mai 2012)

[2Je fais là référence au 2ème rapport Fourgous, de février 2012 (disponible sur http://www.missionfourgous-tice.fr/missionfourgous2/spip.php?article5). Pour autant, il n’y a pas de filiation apparente pour le vadémécum, même si l’idée du Learning Centre est aussi clairement défendue chez M. Fourgous, avec certains aspects qui se recoupent, par exemple dans le déni du potentiel de progrès pédagogique avec la mise en valeur des missions pédagogiques des professeurs documentalistes.

[3« Tout projet de nouvel espace documentaire offre a minima les services suivants : accueil individuel pour du travail personnel, accueil de groupes [groupes spontanés de travail, partie de classes, voire classe entière ou plusieurs classes (amphi)], accès à des collections et prêt de documents numériques, espace de convivialité. » (p. 53)

[4Au deuxième sens du terme : « Désir d’accomplir, de réaliser une grande chose, en y engageant sa fierté, son honneur. » (Le Trésor de la Langue Française Informatisé).

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