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Du CDI au 3C : ou comment "vendre" un produit projet

lundi 18 juin 2012, par Florian Reynaud

Si l’institution souhaite engager la transformation des CDI en 3C, l’analyse du projet permet de mettre en avant ses défauts, sans cerner d’éléments positifs en faveur des élèves.

Philippe Chavernac, professeur documentaliste au Lycée professionnel Gustave Ferrié, à Paris, a lancé, le 7 juin dernier, un débat qui a déjà été engagé par ailleurs, sans l’honnêteté intellectuelle, éventuellement, de le signaler [1]. Il nous parle, à force de raccourcis, de l’histoire de la documentation en milieu scolaire et des changements nécessaires pour ce métier, avec le 3C comme conclusion, ou fin de l’histoire [2]. Cet article permet de faire un point sur l’argumentation développée pour défendre l’idée du passage du Centre de Documentation et d’Information au Centre de Connaissances et de Culture.

Ce changement, faut-il le rappeler, n’est pas une simple vue de l’esprit pour l’intégration des nouvelles technologies dans les établissements. Il me semble qu’on a largement dépassé cette question, d’ailleurs, avec un réel consensus sur la nécessité de cette intégration, plus ou moins prise en charge ensuite par les Conseils généraux et Conseils régionaux. Le passage au 3C passe par des propositions concrètes, affichées dans un Vademecum qu’il peut être bon pour tous de lire, au-delà des commentaires que l’on peut en faire [3]. M. Chavernac défend, il me semble, la nouvelle orientation, mais sans qu’on ait l’impression qu’il s’appuie sur le texte, au vu des arguments qu’il déploie, de même dans une tribune ouverte dans le dernier numéro d’InterCDI [4].

Comment le projet est-il défendu ?

Se permettant une comparaison abusive avec une "situation de confrontation entre les Anciens et les Modernes", M. Chavernac oublie de lire, parle de la rumeur, ou encore de mauvais commentaires sur les listes de diffusion quand il peut s’agir par exemple de commenter le blog Mediapart de M. Véran [5], qui a pris part à la rédaction du Vademecum, qui est bien arrivé par la suite avec le contenu que certains craignaient, que d’autres souhaitaient peut-être. Certes, il arrive que la crainte amplifie la crainte, et que le fantasme s’immisce dans le débat : M. Chavernac rejette toute légitimité de cette crainte exprimée, qui n’aurait selon lui aucun fondement. Ce n’est pas une raison pour oublier toutes les questions mises en avant dans les articles publiés sur le site des Trois Couronnes ou ailleurs, pour oublier les analyses et réflexions, qui, si elles sont engagées, s’appuient avant tout sur une préoccupation objective, et non pas de principe, sur un souci d’analyse scientifique, avant de simplement remettre en question les textes et de proposer des corrections ou des alternatives.

L’aspect numérique prime, c’est évident, dans le Vademecum consacré à l’expérimentation du 3C. Cela fait d’ailleurs longtemps que les professeurs documentalistes, dans leurs pratiques et dans leurs réflexions, ont pris à cœur d’intégrer le matériel numérique, le document numérique et la pédagogie qui leur est associée, dans les collèges et lycées, avec plus ou moins de succès, de méthode, avec plus ou moins de références, qui viennent très timidement du côté institutionnel, avec surtout plus ou moins de formation et de légitimation. L’aspect numérique prime ici, donc, et ce n’est pas un mal, mais surtout d’un point de vue matériel, administratif, sur des orientations soumises aux tutelles financières, sans développement des orientations pédagogiques. La modernité et l’innovation, deux termes fastes de la communication, appuient un projet qui dépasse pourtant largement la question de l’intégration des nouvelles technologies, d’un point de vue matériel. On peut le comprendre - et c’est une interprétation, que le développement numérique sert essentiellement à la redéfinition de l’établissement scolaire comme prestataire potentiel d’un service aux usagers. Il n’y a aucune ambition pédagogique dans ce projet, j’aimerais éventuellement qu’on me démontre le contraire, cela ne paraît d’ailleurs pas évident pour les porte-parole de cette expérimentation.

La formation dispensée par le professeur documentaliste est affirmée dès le début du Vademecum, pour ne concerner ensuite que le PDMF (parcours de découverte des métiers et des formations), comme seul exemple de formation assurée par le professeur documentaliste. Là encore, pardon pour l’interprétation, mais on peut considérer que ce n’est pas innocent, que de soutenir véritablement, seulement, ce parcours spécifique, particulièrement peu exigeant en termes d’apprentissages info-documentaires. C’est un soupçon de formation, quand on insiste constamment dans ce texte sur la réponse aux besoins, sur l’adaptation à la nouveauté, toujours en termes de services, sur des discours dignes d’un modernisme réactionnaire qui pose l’évitement des enjeux pédagogiques essentiels, l’évitement d’une pédagogie contemporaine adaptée, qui permettrait le développement de l’éducation aux médias, la mise en place cohérente d’apprentissages, pour les élèves [6], liés à l’information et à la documentation. Ce que souhaite d’ailleurs aussi M. Chavernac, mais sans que ce soit soutenu dans ce Vademecum.

Qu’est-ce qui est contesté dans ce projet ?

M. Chavernac ne parle pas du fonds, il ne s’occupe pas des textes d’ailleurs, si ce n’est dans un survol qui lui permet d’estimer que la fonction enseignante du professeur documentaliste n’est pas menacée, quand il y a des doutes, à travers la lecture du Pacifi et du Vademecum 3C, sur ce sujet, quand il paraît toujours si difficile à l’institution d’écrire dans un texte officiel que l’on soit légitime pour prendre en charge une progression officialisée d’information-documentation, avec alors la facilité d’une caricature de certaines revendications, brandissant par exemple le spectre de la discipline à ceux qui s’en sont échappés [7]... C’est une grande partie du problème qui est dénoncé dans les analyses, et cela ne remet pas en question la nécessité d’intégrer et de développer l’accès aux ressources numériques dans les établissements scolaires.

En outre, si M. Chavernac pouvait éviter de regarder son nombril pour dire que tout va bien, cela dénoterait davantage de respect pour ceux qui vivent des situations pour le moins ubuesques, que les nouveaux textes n’ont pas l’ambition de corriger, c’est aussi le problème mis en avant dans les différentes analyses. Si l’on voit que les textes comme le Vademecum 3C insistent davantage sur le service plutôt que sur notre rôle pédagogique, c’est une base pour douter de l’intérêt de l’inspection pour ce rôle pédagogique, quel que soit par ailleurs la possible crédulité ou naïveté de chacun.

On peut aussi penser aux élèves, éventuellement, et constater que la mise en place d’un parcours d’apprentissages info-documentaires dans les établissements scolaires est toujours un chemin de croix qui demande deux ou trois années pour s’instituer localement, et ce seulement quand il s’agit d’un poste titulaire. Ce projet ne permet pas plus de dépasser ce défaut qui, s’il ne concerne pas tous les établissements, devrait pour le moins interpeler l’ensemble des professeurs documentalistes, sur un souci de cohérence nationale. Certes, le Pacifi propose l’intégration de ce parcours dans les programmes, mais sans qu’il soit question d’en donner les moyens, et sans reconnaître davantage les compétences didactiques du professeur documentaliste.

Pourquoi contester ce projet ?

Cette question me paraît essentielle quand on lit M. Chavernac, mais aussi quand on souhaite engager une discussion d’intelligence, même à distance, avec l’inspection, sur ces sujets, pour donner des points de vue plus ou moins contradictoires, éventuellement remettre en question, quand il est nécessaire de le faire, certain rapport mascarade [8]. Le débat tourne autour du rôle pédagogique du professeur documentaliste, essentiellement, me semble-t-il. Il y a une manière d’éluder la question, dans les textes de l’Inspection, tout en confortant l’apport pédagogique de la fonction, du bout des lèvres, afin de mieux avancer d’autres pistes, liées surtout à un aspect gestionnaire renforcé. Pour autant, on appréciera toujours le déplacement du discours, en particulier de la part de M. Véran dans ses billets successifs, plus récents, sans que ce soit encore satisfaisant.

M. Chavernac pose un clivage entre une minorité agissante qui serait contestataire par principe, et la majorité silencieuse, qui, selon lui, si elle ne dit mot, consent. Je ne crois pas cela si simple. Je ne reviens pas sur le nombre de signataires du manifeste 2012 de l’APDEN (ex-FADBEN). Je reviens plutôt sur l’intérêt d’une telle réflexion. Comment peut-on en effet rejeter des réflexions et arguments du seul fait qu’ils ne soient exprimés que par quelques individus (de là vers le terme de minorité, il n’y a qu’un petit pas pour l’homme que M. Chavernac fait sans se poser de question) ? De quoi parle-t-on, encore, quand il s’agit du groupe de rédaction d’équipe Documentation de l’académie de Paris qui s’exprime ? D’une majorité passive et légitime ? On peut aller loin, avec des mots, et faire encore oublier les questions de fonds. Et si personne n’est là pour porter le discours officiel, doit-on s’abaisser à un copier-coller manifeste sur différents sites acquis à la cause ?

S’il s’agit d’un débat, il convient pour le moins de lire les textes dont il est question, de chercher à comprendre les craintes, de regarder attentivement les arguments énoncés et d’y répondre, plutôt que de ressortir des débats obsolètes, qui n’ont pas vraiment lieu d’être.

Pour conclure

L’opposition ressentie à l’expérimentation du 3C [9] ne s’appuie pas sur une peur de l’innovation ou sur une peur du changement. Au contraire. Il convient de lire attentivement le fameux Vademecum avant d’affirmer qu’il s’agit d’innovation. C’est un changement qui s’appuie sur l’innovation, c’est bien différent, et ce n’est pas crier aux loups que de dire qu’il ne convient pas forcément et qu’il n’est peut-être pas en accord, justement, avec ces innovations que l’on peut mettre en avant, qu’il n’est peut-être pas en accord, ce changement, avec l’idée même de progrès, par exemple.

Il semble y avoir un réel consensus autour de l’intégration des nouveaux médias dans les établissements scolaires, dans les collèges et lycées par exemple. Mais cette évolution peut prendre plusieurs formes, et la forme choisie par l’Inspection générale peut susciter des questionnements. Il s’agit, après être passé très rapidement sur le rôle pédagogique du professeur documentaliste, d’amener le lieu à répondre aux besoins : besoin d’accès numérique, besoin d’apports techniques ponctuels. Pour ma part, je ne perçois pas l’engagement pédagogique du projet, mais ce n’est sans doute pas sa vocation.

Documents joints

Notes

[1Une grande partie des articles sur la question à http://docsdocs.free.fr/spip.php?breve654 ou à http://www.pearltrees.com/#/N-p=45168582&N-u=1_423127&N-fa=3652335&N-s=1_4723985&N-f=1_4723985. Sur le Café pédagogique, non signalé dans le billet de M. Charvenac, un article synthétique de Fred Yvetot sur le 3C, particulièrement neutre : http://www.cafepedagogique.net/lemensuel/lenseignant/documentation/Pages/2012/132_CDI_Une.aspx.

[2En ligne : http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2012/06/07062012Article634746478658232483.aspx. Notons que le discours de M. Chavernac apparaît ici comme institutionnel, ce qui paraît quelque peu étrange, pour ce qui concerne la seule démarche, la seule forme : http://www.ac-paris.fr/portail/jcms/p1_565704/documentation-du-cdi-au-ccc-dans-les-etablissements-scolaires?cid=p1_529708&portal=piapp1_58848 (consulté le 17 juin 2012, sans signature). Et on peut enfin se demander à partir de quel nombre de recopies on peut parler de matraquage (http://www.ludovia.com/2012/06/les-centres-de-connaissances-et-de-culture-lieu-dapprentissage-du-numerique/).

[4InterCDI, mai-juin 2012, n°237

[5Formateur à l’IUFM de Montpellier. Blog en ligne : http://blogs.mediapart.fr/blog/jean-pierre-veran

[6Et non pas pour les personnels de l’établissement et parents, comme l’indique le Vademecum.

[7Rappelons aussi que l’APDEN (ex-FADBEN), dans le manifeste 2012 (http://apden.org/MANIFESTE-2012.html), ne revendique pas la création d’une discipline, comme certains le font entendre, mais un enseignement, un curriculum info-documentaire.

[8Sur le rapport FourgousV2 : http://profdoc.iddocs.fr/spip.php?article3

[9M. Chavernac estime que ce changement de nom est malvenu, alors que ce changement de nom permet de soutenir l’ensemble du projet, même si cela paraît pour certains anodins.

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