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L’éducation aux médias dans la progression info-documentaire

mercredi 9 janvier 2013, par Florian Reynaud

Après plusieurs analyses critiques sur quelques textes problématiques au sujet de l’avenir de la documentation en milieu scolaire, accompagnées toutefois de réflexions pratiques contradictoires, je l’espère utiles aux débats, je reviens ici sur un positionnement essentiellement constructif, à la suite de l’article intitulé « Des séances pédagogiques assurées par le professeur documentaliste ».

En regard de mon expérience personnelle et modeste des médias, de l’évaluation de mes séances pédagogiques, de l’observation des élèves et de la lecture de travaux scientifiques, en particulier dans les Sciences de l’éducation et Sciences de l’information et de la communication, mais encore sur l’ensemble des réflexions relatives à la documentation, je souhaite aborder ici, dans le cadre de l’enseignement secondaire en collège, la question de l’éducation aux médias, ce qu’elle recouvre et ce qu’elle signifie dans une construction légitime d’enseignements ou d’apprentissages info-documentaires.

Bien évidemment, en tant professeur documentaliste, il s’agit aussi de mener des séances pour transmettre aux élèves des connaissances sur la documentation, globalement, sur son histoire, sur son organisation, englobant logiquement la documentation numérique. Ce travail, sans programme, et toujours dépendant, selon les établissements, du bon vouloir des chefs et collègues, comprend des compétences de manipulation, de recherche. Dans un cadre particulièrement favorable, j’articule l’éducation aux médias au dedans et au dehors d’une progression info-documentaire globale qui me semble en grande partie du ressort du professeur documentaliste, spécialiste de la question, en ce qu’elle permet la mise en place d’un cadre général cohérent, dans et entre les établissements. Ce travail concerne les bases de fonctionnement des réseaux, l’interaction sur les réseaux, du rapport au Droit jusqu’au caractère le plus distractif des nouveaux médias, enfin la prise en compte réelle, sans timidités, de la complexité des outils et contenus numériques.

Du fonctionnement des réseaux à la question du Droit sur les réseaux

Dans le cadre d’un Club Webmaster, initiation aux langages HTML5, CSS3, puis Javascript et PHP, qui accueille des élèves de la 6e à la 4e, j’ai été amené à me replonger dans mes débuts en tant que concepteur de pages web. En 2000, je créais mon premier site web [1]. Je proposais des contenus sur un groupe de musique, comme mes élèves aujourd’hui, plus jeunes, souhaitent créer des pages sur le jeu en ligne Minecraft par exemple.

Il n’y avait pas de réseau social évident à l’époque pour échanger des photographies, qui étaient scannées, si bien que je les publiais parfois sur le site, avec un mot de passe, sur un système qui n’avait quasiment aucune protection. Point positif : les photographies restaient toujours ma propriété, sans possibles usages de tiers par ce biais. Je m’aperçois qu’on ne peut pas faire de clic droit, sur quelques pages seulement, protection ajoutée après coup et qui ne servait à rien sauf embêter l’internaute sans raison. Je m’aperçois aussi que je citais mes sources au sujet des informations textuelles, mais aussi, plus rarement, sauf avec un beau copyright ajouté à l’origine, pour les photos trouvées dans mes pérégrinations numériques.

Je n’ai eu qu’un souci, quand le nouveau groupe Zwan sortit un single en téléchargement direct gratuit sur le site officiel, sans encore de streaming. Je proposai alors un lien de téléchargement direct : je reçus, deux ou trois semaines après, un mail de la Société civile des producteurs phonographiques, m’intimant de supprimer ce lien du site, ce que je fis alors fissa, peu téméraire même si je ne comprenais pas vraiment leur démarche, vu tous les liens que je proposais vers le site du groupe, vu toute la publicité indirecte que je faisais pour leurs albums, biens commerciaux que je ne considérais pas comme tels. Je leur fis savoir mon incompréhension, aimablement, mais ne reçut pas de réponse. J’avais quand même laissé les liens directs vers les autres morceaux, comme ils me demandaient d’en enlever un précisément.

Aujourd’hui, à 19 ans, un jeune adulte a été « sensibilisé » à la question des droits liés à l’image et à la propriété intellectuelle, sur Internet. Mais à par cela, rien, si ce n’est l’utilisation d’outils numériques simples à des fins de production de contenus en ligne. Et quand il s’agit de faire le point sur une sensibilisation au seul droit lié aux nouveaux médias, avant l’obtention du Socle commun, avant l’âge de 16 ans, le sujet paraît particulièrement épineux, ainsi quand j’aborde la question avec les élèves du Club Webmaster, ou encore quand il s’agit de tout projet de publication imprimée ou en ligne, dans le cadre scolaire. Dans un processus d’apprentissage, en effet, l’enseignement et l’application du droit strict paraît bien difficile, à moins de ne rien entreprendre. Il s’agit tout simplement d’un apprentissage, avec des publications publiques, qui se fait sur le temps, et qui suppose des tâtonnements, de même qu’une certaine relativisation devant le droit, ce qui n’est pas simple pour des enfants, surtout quand beaucoup d’entre eux estiment qu’ils publient des photographies gratuites trouvées sur Google, mais encore en amont, que, pour aller sur Internet, on utilise Google.

Au-delà d’aspects techniques, sur des notions de structures informatiques qui restent malgré tout difficiles à acquérir pour les élèves de Sixième ou de Cinquième [2], il s’agit de clarifier l’environnement numérique informationnel, sur des connaissances et compétences trop spécifiques pour qu’elles puissent être abandonnées au passage d’un programme de technologie qui, pour le reste, ne concerne en rien l’approche documentaire des objets. S’il est bien question actuellement de faire croire que ces questions sont abordées, alors qu’elles sont survolées de manière très insatisfaisante, non pas du fait des professeurs de technologie, mais du fait de directives qui ne sont pas logiques, c’est qu’on fait vite encore l’erreur de croire que, plus on utilise et plus on maîtrise les nouvelles technologies, avec le temps, et par exemple dans un âge avancé, et plus on estime que les enfants doivent savoir maîtriser ces outils et leurs contenus dès la première utilisation, ou de plus en plus tôt. Les élèves eux-mêmes croient savoir, ce pour quoi il peut être régulièrement conseillé de prendre appui sur cette confiance erronée que l’on prend parfois pour une compétence collective, afin de favoriser la réussite des élèves, ce qui n’est pas forcément stupide, mais tout de même à interroger en termes de réelles efficacités didactiques. On pèche par excès d’ignorance et de confiance, comme si l’on estimait que l’inscription de l’individu dans l’ordre d’une civilisation était un processus inné, par analogie. On oublie alors ensuite qu’il peut y avoir des différences d’approche, selon les générations, selon les domaines abordés, différences qui doivent se retrouver dans le travail pédagogique.

Ainsi, l’entrée par un réseau local pour comprendre un réseau mondial n’est pas forcément adaptée pour des élèves, en partie parce que les élèves pratiquent très tôt le réseau mondial Internet, sans forcément comprendre son fonctionnement, alors qu’ils n’ont jamais pratiqué l’ENT ou l’Intranet [3]. Le processus de compréhension de l’utilité de l’Intranet, de son fonctionnement, de sa structure, suppose un temps très long d’assimilation, avant de dépasser l’Intranet pour l’Internet, tandis que l’explication du réseau mondial, facilitée par les pratiques numériques des élèves (documents déposés sur les réseaux sociaux, création de mots de passe, sauvegarde de contenus en ligne sous forme de documents ou de cookies), permet une assimilation d’autant plus simple qu’elle s’appuie sur les pratiques, avec une compréhension plus aisée, par la suite, d’un réseau local, avec alors la possibilité d’engager des pratiques pédagogiques sur ce réseau, non plus dans l’éducation aux médias, mais dans l’éducation par et avec les médias.

Je propose ce processus en classe de Cinquième, dans une séquence de trois heures, en dédoublement sur les heures de technologie, qui permet de préciser, en rappel à la Sixième, ce qu’est un document, puis comment on fabrique un document imprimé, avec quelle structure, quelles moyens de recherches on peut utiliser parmi l’ensemble ainsi que dans ces documents. Il s’agit ensuite de présenter le principe de l’accès aux pages Internet, via les réseaux mais aussi via les moteurs de recherche, en abordant également les bases de création de telles pages, pour terminer sur un travail de recherche qui met en avant les méthodes et les notions liées à la citation des références.

Il me paraît pour autant encore trop ambitieux, à ce niveau, de demander à « identifier les droits d’utilisation et de partage des ressources et des outils numériques, ainsi que les risques encourus en cas de non respect des règles et procédures d’utilisation », à se demander même quelle est l’utilité réelle de cette préoccupation [4]. Qu’il soit question d’une information, oui, par exemple au sujet des illustrations numériques que l’on souhaite publier personnellement, mais le principe d’une règle édictée pour des recherches scolaires ne me semble pas pertinent, comme on dépasse alors la question d’apprentissages info-documentaires, pour une préoccupation qui serait pourtant plutôt d’ordre culturelle et financière, sur des points juridiques qui relèvent plus d’une concordance avec le programme d’éducation civique de Quatrième, avec alors une séance possible en éducation aux médias, que le professeur documentaliste peut prendre en charge, sur dédoublement, à condition d’un prolongement effectif, en classe de Troisième par exemple, sous forme de débat [5].

Une distraction à prendre au sérieux

Comme c’était illustré par Jean-Pierre Mocky, en 1968, dans La grande lessive (!), l’arrivée de la télévision a posé des questions en termes de révolution de la vie familiale, autour du poste, en termes de fatigue, en ce qui concernait des élèves qui passaient leur dimanche devant la télévision [6]. Au fur et à mesure que des questionnements sur les contenus se sont développés, les acteurs pédagogiques se sont emparés des nouveaux médias, en les intégrant quelque peu dans les programmes scolaires. Il s’agissait surtout de considérer la télévision comme un média d’informations, de connaissances, sans prise en compte éducatif du caractère distractif de l’objet et des contenus diffusés, caractère distractif pourtant dominant, et qui s’est accru. Avec le développement et la diffusion d’un accès massif à Internet, les deux questionnements se posent en même temps, sur l’influence du média dans la vie quotidienne des uns et des autres, sur le changement que cela opère quant au rapport à l’information, au savoir.

Une véritable éducation aux médias ne devrait pas s’en tenir au seul caractère noble des contenus diffusés ou publiés, d’autant plus quand les usagers eux-mêmes deviennent diffuseurs et éditeurs, dans leur quotidien. Ainsi, au-delà d’une étude de clips, de documents audio-visuels extra-ordinaires, informationnels, parfois publicitaires, fictionnels, considérés alors à juste titre comme des objets culturels, il revient à l’école, me semble-t-il, de donner des clés aux élèves pour responsabiliser leurs usages, leur contact numérique, et développer leur esprit critique, jusque dans leur interaction avec les médias. Il s’agit de considérer les médias comme objets d’étude, l’un des cinq axes définis par le CLEMI dans ses publications. Force est de constater que dans sa lecture des programmes, exprimant pourtant cet axe comme étant « pleinement dans l’éducation aux médias », le CLEMI trouve peu d’éléments prescriptifs, avec des items présentés qui ne correspondent pas toujours, d’ailleurs, à l’axe même, quand on ne mélange pas simplement, et c’est compréhensible, l’éducation aux médias avec l’histoire des arts et des techniques artistiques [7].

Ainsi, concernant tous les médias, des connaissances sur l’économie des médias, sur la publicité, peuvent être transmises aux élèves dès la Sixième, en partant des documents imprimés et audio-visuels, en particulier quand il s’agit de travailler sur les périodiques, documents particuliers, dans ce cadre, parmi les documents physiques présentés aux élèves à leur entrée au collège. Pour le professeur documentaliste, cet aspect est abordé lors d’une séquence en info-documentation, en dehors d’études ponctuelles sur des contenus publicitaires en classe de Français. De même, en Cinquième, on peut approfondir le sujet lors d’une même séquence, en abordant plus en détail le sujet de la publicité dans les médias, dans leur ensemble au sujet de la neutralité des informations trouvées, d’autre part plus spécifiquement sur Internet et sur la complexité de la publicité dans ce média, avec des évolutions régulières à ce niveau [8]. Cette approche qui relève du domaine économique, jusque-là réservée à des âges plus avancés, me semble pertinente aujourd’hui pour des enfants de 11 à 13 ans qui se trouvent directement concernés par ce sujet, quand ils ne participent pas eux-mêmes à la gestion financière des usages numériques, aussi petite soit elle, au sein de leur famille. Il s’agit d’un travail sur la publicité, son marché, sa construction, sa multiplicité [9]. J’ajoute à cela la découverte, en Cinquième, de l’information en ligne, au sujet des pure players, des outils de veille, comme les réseaux sociaux, sans oublier le rôle de la publicité parmi ces médias.

Il ne s’agit pas, question culturelle et financière, de remettre en cause le modèle économique du web en informant les jeunes usagers de ce fonctionnement, de manière plus avancée que la simple distinction de publicités parmi les résultats d’un moteur de recherche, mais de préciser le fonctionnement d’une grande partie du réseau et des conséquences de la publicité sur les contenus, de même dans les magazines et journaux imprimés. Le débat soulevé par la mise en place d’un bloqueur de pub par Free sur sa box en janvier 2013 peut d’ailleurs permettre, en classe de Troisième, d’engager un débat sur ce type de pratiques, sur l’existence de bloqueurs de pub, sur le modèle économique des sites d’information (entre autres) et sur la question de la neutralité du Net [10].

En classe de Troisième, l’éducation aux médias n’apparaît dans les programmes qu’en Éducation civique, avec trois aspects intéressants : la diversité et le rôle des médias (que l’on peut aborder bien plus tôt), les sondages d’opinion et le rôle d’Internet (à comprendre sans doute dans les débats politiques). Il y a pourtant lieu, à cet âge, en accord avec les programmes de Français par exemple, d’aborder les questions liées à l’identité numérique, au comportement en ligne et hors ligne d’un individu, aux aspects liés à l’image que l’on donne, dans différentes sphères. Ces aspects semblent relever officiellement d’une sensibilisation mise en avant par exemple dans le cadre d’un CESC, alors qu’il s’agit de contenus essentiels à la compréhension critique de médias et d’outils qui ont un impact et une influence majeurs sur la vie quotidienne et le processus de développement des jeunes, au-delà d’un débat latent sur l’inscription de ces nouveaux médias dans la philosophie du progrès. Tandis que les autres questions mises en avant par les CESC font également d’ailleurs parties intégrantes des programmes scolaires, qu’il s’agisse de l’alimentation (en Sixième), du tabac (en Cinquième), il paraît surprenant que le rapport aux usages numériques et à l’information numérique ne soit pas, depuis la fin des années 1990, intégré aux apprentissages scolaires, avec une place pourtant légitime à cet égard pour les professeurs d’éducation civique, pour les professeurs de Lettres modernes, pour les professeurs documentalistes.

Et qu’en est-il encore de la construction d’un journal télévisé, de la construction d’un site Internet et de sa lecture ? Qu’en est-il de la construction d’émissions de divertissement, par exemple en télé-réalité, de l’économie de marché qui y est associée ? Qu’en est-il encore du fonctionnement d’un journal local et du tissu communicationnel, médiatique, utilisé par la population locale, par les associations, auprès de l’établissement scolaire, sujet abordable dès la Sixième (avec une collaboration entre le professeur documentaliste et le professeur d’éducation civique, par exemple), mais encore en Quatrième (avec une participation des élèves à une information diffusée parmi le réseau médiatique local) ? Ces questions, et les précédentes, sont légitimes pour le développement de l’esprit critique des élèves dans la sphère scolaire, elles supposent un cadre et un temps suffisant, qui n’existent pas actuellement, en outre une responsabilité logique du professeur documentaliste sur ces contenus, avec ou sans la collaboration, selon les sujets et projets, des professeurs disciplinaires.

La complexité des usages et des lectures numériques

Quand plusieurs élèves, sur une demi-classe de Troisième partagée avec le professeur référent, font une recherche en Histoire des Arts et que tous les ordinateurs disponibles au CDI sont occupés, je les engage à regarder certains ouvrages, supposant qu’ils vont y trouver des informations fiables, certes moins nombreuses que sur Internet mais largement suffisantes pour ce qu’on leur demande à leur niveau et progression, par ailleurs avec un processus de recherche plus simple, moins long. Quasiment tous ceux à qui je m’adresse ainsi me répondent que cela les ennuie, parce qu’il va leur falloir lire. Et sur Internet ? Ce n’est pas pareil. Pour ma part, je prends note d’une problématique essentielle.

Cela pose en particulier la question de la concentration intellectuelle requise dans l’accès au savoir, dans la recherche d’informations, qui n’est pas évidente sur les outils numériques alors qu’elle est un préalable conscientisé, a contrario, sur des documents imprimés qui n’offrent pas de distraction (comme écouter de la musique en même temps sur un site de musique gratuit, visualiser une vidéo sur YouTube, de temps en temps, pendant le travail fait au collège, jouer un petit peu, entre deux recherches). La responsabilité devant la tâche à accomplir n’est pas la même selon l’âge et le niveau des élèves, sans prendre en considération des critères socioculturels également décisifs, pour que l’on abandonne l’appropriation des outils et contenus numériques à la seule autonomie, sans reconnaissance d’un nécessaire enseignement sur ces sujets. Le raccourci n’est d’ailleurs pas emprunté par les défenseurs des Learning spaces [11], qui ont pu inspirer en partie l’idée française d’un Learning Centre ou 3C qui, elle, ne respecte pas les exigences d’apprentissages pédagogiques communs. Cette expérimentation des 3C pose les principes d’une autonomie possible dans les apprentissages liés aux outils et contenus numériques, accompagnée de manière informelle plutôt que dans un cadre pédagogique préalable, guidée par la réponse à des besoins individuels plutôt que par la prise en considération d’enjeux collectifs, mettant en avant une architecture de l’information mise en place dans l’établissement pour répondre aux "besoins" des élèves de la manière la plus efficace possible [12].

La mise en valeur de la transmission des connaissances plutôt que la construction des connaissances par les élèves eux-mêmes n’est pas nouvelle. En effet, la construction était tout aussi possible avec les seules ressources informationnelles imprimées, mais on pouvait concevoir que les connaissances ainsi construites étaient moins importantes et moins assimilées, du fait du temps important de recherche, malgré les avantages d’acquérir les méthodes de recherche nécessaires. Les professeurs documentalistes, dont une des missions essentielles consiste à assurer une initiation et une formation des élèves à la recherche documentaire, ont pu et peuvent encore connaître des difficultés à mettre en place de telles formations, comme il s’agit pour eux de rechercher des horaires qu’ils n’ont pas institutionnellement de manière officielle, faisant face alors parfois à des réticences importantes de la part de leurs collègues, non pas tant sur leurs compétences d’enseignement, mais plutôt sur le nombre d’heures consacré à de telles séquences, considéré comme un temps soustrait à la transmission directe des connaissances.

Si les nouvelles technologies numériques se sont développées, posant des questionnements légitimes sur le rapport au savoir, la considération pour les apprentissages info-documentaires évolue très lentement, sans soutien de l’institution, si ce n’est par des textes qui n’ont pas de portée véritable.

Un autre problème, qui rejoint celui des Learning Centres, se pose au sujet de la maîtrise et de l’accès prérequis aux nouveaux médias. On peut ainsi observer que les élèves qui n’ont pas ces bases ne sont pas ceux qui majoritairement font la démarche, plus complexe que pour les autres, d’accéder à des ordinateurs de manière autonome, sans l’accompagnement pédagogique qui peut être commun à tous, toujours, s’il est pris en charge suffisamment tôt et de manière efficace, dans l’enseignement primaire et dès le début du secondaire. Ce souci premier n’empêche pas que, par la suite, de même que dans une discipline, un accompagnement particulier soit proposé aux élèves qui rencontrent de réelles difficultés, non plus d’accès basique, mais d’apprentissage à ce sujet précis.

La maîtrise des outils et contenus numériques demande un temps important d’apprentissages et la reconnaissance d’une spécificité de ces apprentissages, d’abord en termes de connaissances des outils, de leur utilisation la plus basique, ce qui est déjà envisagé en Sixième en technologie, mais ensuite en termes de lecture de la structure d’une page, de gestion intellectuelle des informations publicitaires ou parasites, de construction d’un schéma mental de reconnaissance de la fiabilité des pages, de construction d’un schéma mental de lecture des informations plutôt que de survol, de gestion de collecte des informations [13]...

Tandis que rien ne prouve que l’éducation avec les nouvelles technologies permet une amélioration des résultats [14], avec l’idée toutefois que cette absence d’évolutions, à ce niveau, vient d’une mauvaise utilisation des TIC par les enseignants [15], il n’est pas idiot de poser la question des bénéfices didactiques et pédagogiques, à court terme, de l’organisation d’une véritable éducation aux médias, qui permettrait des échanges intéressants entre professeurs et élèves, sur les aspects théoriques et pratiques d’une utilisation des nouveaux médias à des fins pédagogiques. Cela permettrait par exemple de relativiser la force des innovations, sans révolutions fréquentes, mais avec des nouveautés ponctuelles qui, au-delà des effets de mode, peuvent être interrogées et intégrées dans les dispositifs pédagogiques. Il semble bien que les TIC aient un impact d’autant plus favorable sur les résultats scolaires que les élèves ont une connaissance technique préalable des outils numériques, de leur diversité, de leur fonctionnement, ainsi pour ceux qui viennent d’un milieu socioprofessionnel où cet usage critique des nouveaux médias est favorisé, ou encore quand il s’agit déjà d’une aide scolaire des élèves à l’utilisation critique de la technologie [16].

Pour un usage quotidien, dépassant le souhait de la motivation des élèves, problématique fragile que les TIC seules, en tant qu’outils, ne permettent pas de simplifier [17], la maîtrise des outils et de leur environnement est primordiale. On l’observe dans l’enseignement supérieur, par défaut d’un usage effectif des étudiants sur le temps long, permettant une approche critique pour une grande partie autodidacte, tandis que cette approche n’est pas possible pour des élèves du primaire ou du secondaire, avec un accompagnement scolaire pédagogique qui doit alors être davantage reconnu, institutionnalisé.

Il n’est pas question, contre ce que certains prônent, d’estimer que la pédagogie contemporaine doit se faire en grande partie avec les TIC ou les nouveaux médias, mais plutôt d’assumer le rôle de l’école dans le développement de l’intelligence des élèves, en particulier devant ces nouvelles technologies et nouveaux médias qu’ils utilisent et que nous, adultes et professeurs, utilisons quotidiennement, massivement. Qu’il s’agisse ensuite de mieux aborder les outils et contenus numériques, ensemble, sur une pédagogie construite avec ces nouveaux outils, en souhaitant également des travaux de collaboration entre les élèves avec les outils numériques, rien ne dit que ce soit désagréable, avec de fortes présomptions pour qu’il en ressorte des éléments positifs, d’autant plus que la demande d’équipements numériques et de compétences associées est bien là, du côté des professeurs. Il n’en reste pas moins que les élèves ne peuvent pas construire eux-mêmes leur parcours d’apprentissage, ce qui est envisageable actuellement en toute fin du secondaire, et surtout dans le supérieur, sans connaissances solides préalables. La capacité de travailler avec des outils qui sont liés à un ensemble de distraction et d’activités de communication et de loisirs, cela s’acquiert avec un accompagnement pédagogique à construire [18].

Pour le professeur documentaliste, il s’agit selon moi d’enseigner la maîtrise des outils, des contenus, les méthodes de recherche sur les outils existants, plutôt que de mettre à disposition des élèves des outils de sélection périssables, parfois seulement internes à un établissement, travail lié à une architecture de l’information qui relève peut-être davantage des acteurs de la bibliothéconomie, ou encore d’un enseignement en lycée.

Conclusion

La construction de savoir et la transmission de connaissances aux élèves dans le cadre d’une éducation aux médias pour tous me semble être une priorité, avant quelque inutile développement d’expressions aussi redondantes qu’inefficaces, comme le décloisonnement des lieux de savoir ou la transformation des CDI en Learning Centres sur la base de problématiques qui ne répondent pas aux enjeux posés dans l’enseignement secondaire par les recherches récentes en Sciences de l’éducation, en Sciences de l’information et de la communication, au niveau français comme au niveau international. A ce sujet le discours officiel a pris le pli de confondre les niveaux d’étude [19]. Cette habitude peut poser un nouveau frein à une innovation positive des pédagogies et des pratiques numériques dans les établissements.

Plutôt que de viser directement la libération des usages numériques et des talents numériques en milieu scolaire, comme le préconise Paul Mathias, IGEN, doyen du groupe philosophie, en attendant patiemment que les obstacles psychologiques et techniques sautent par magie, il convient plutôt de développer, d’abord, des apprentissages spécifiques, cadrés, ce qui ne serait d’ailleurs pas si éloigné de la pensée du même IGEN s’il n’était convaincu par d’autres de prérogatives qui, l’observe-t-il ensuite dans le rapport sur le plan DUNE, n’ont pas d’effets, comme elles font se conserver les mêmes obstacles, ou encore s’il prenait en considération les compétences des professeurs documentalistes [20].

Entre l’organisation non cadrée qui existe actuellement et la discipline choisie comme épouvantail par certains, il existe des « nuances intermédiaires » qui pourraient être prises en compte depuis une large décennie, qui pourraient permettre de réellement faire avancer l’entrée des nouveaux médias et des nouvelles technologies dans l’enseignement primaire ou l’enseignement secondaire. Au lieu de cela, les outils numériques restent des outils, avec un attentisme certain quand au développement de l’esprit critique des élèves vis-à-vis de ces outils et de leur contenu.

Pourtant, les pistes pédagogiques concrètes envisagées dans cet article ne sont même pas vraiment satisfaisantes, du fait d’ailleurs d’une mauvaise considération du rôle pédagogique des professeurs documentalistes, dans le sens où le temps manque, à présenter une progression info-documentaire quand un seul professeur documentaliste doit élaborer ce parcours pour 25 classes, 5 ou 6 par niveau. Il arrive que l’on voit des professeurs documentalistes prendre un air si volontaire, les yeux pétillants d’envie, quand on leur présente des séquences de trois à cinq séances en éducation aux médias, car la réalité est celle de projets ponctuels, avec une systématisation complexe d’une progression complète, même sur de petits établissements. Le cadrage permet alors d’éviter l’aléatoire, lié par exemple au mouvement plus ou moins fréquent des professeurs de discipline, ou encore à l’existence de temps partagés, comme tout se joue seulement sur la négociation, sur la communication, et que celles-ci ne sont pas évidentes pour tous, loin de là.

Quand on sait que l’absence de maîtrise entraîne et favorise des craintes dans l’usage des nouveaux médias, chez les professeurs comme chez les élèves d’ailleurs, pourquoi ne pas engager le développement d’apprentissages spécifiques, encadrés, afin de permettre une appropriation collective plus intéressante de ces outils et contenus numériques ?

Documents joints

Notes

[1J’ai gardé une sauvegarde du site, il était hébergé comme site perso sur un compte Free, je le remets en ligne, pour illustration, à l’adresse URL suivante : http://billiejoe.iddocs.fr/smashing/. Je ne me suis pas amusé à supprimer l’adresse mail de chaque page, sur Caramail, mais cette adresse n’existe plus. Altavista est passé sur Yahoo.

[2"Programme de technologie du collège", in Eduscol, 13/04/2012. Disponible sur : http://eduscol.education.fr/cid48728/technologie.html. Consulté le 05/01/2013.

[3Tandis que l’entrée par l’environnement local est adaptée pour la compréhension de la gestion politique, par exemple, vers le régional, le national, l’international, comme il est perçu dans les programmes de géographie et d’éducation civique.

[4Que l’on retrouve dans les programmes de technologie déjà cités.

[5Exemples de séances, suivies d’évaluations : spip.php ?article14. On peut aussi le faire de manière plus importante, avec les classes de Quatrième, comme le présente Christine Hallé (Collège Guy Moquet - le Havre), autour du réseau social, avec une séquences de quatre séances : Jouquan, Cécile. "Je publie, je réfléchis. Etre un citoyen responsable sur Facebook (4ème)", in Document@tion Rouen [en ligne], 03/01/2012. Disponible sur : http://documentation.spip.ac-rouen.fr/spip.php?article371. Consulté le 06/01/2013.

[6Sur ce film : Lafargue, Jean-Noël. "La grande lessive", in Le dernier des blogs [en ligne]. 10/2009. Disponible sur : http://hyperbate.fr/dernier/?p=7685 Consulté le 02/01/2013.

[7"L’éducation aux médias dans les programmes", in Clemi.org [en ligne]. 11/2012. Disponible sur : http://www.clemi.org/fr/centre-de-documentation/l-education-aux-medias/ Consulté le 02/01/2013.

[8Le sujet est abordé lors de la séquence citée sur le fonctionnement d’un réseau et la construction d’une page Internet, également lors du travail de recherche documentaire, parmi les critères de distinction des résultats sur le moteur de recherche et parmi les critères de fiabilité d’une page Internet.

[9Annoncée à l’avance en télé, avec des différences selon les chaînes, ou intégrée dans les programmes, pour mettre en avant un produit en vente direct ou un produit que les téléspectateurs peuvent se procurer par eux-mêmes, etc. ; non annoncée dans les journaux, mais identifiables dans des pages entières et dans des espaces particuliers ; non annoncée sur Internet et susceptible de prendre un emplacement impromptu, intrusif, ou au contraire avec un terme distinctif, sous forme de « liens sponsorisés », d’annonces...

[10Sur l’actualité de Free : Chicheportiche, Olivier. "Free confirme le filtrage par défaut des publicités Web depuis la Freebox Révolution", in ZDNet, 03/01/2013. Disponible sur : http://www.zdnet.fr/actualites/free-confirme-le-filtrage-par-defaut-des-publicites-web-depuis-la-freebox-revolution-39785857.htm. Consulté le 05/01/2013. On peut aussi revenir sur le FAI NoPub, avec des raisons plus honnêtes et plus claires que Free, présenté sur ZDNet avec plusieurs articles de l’époque : Col, Pierre. "Filtrage de la pub par Free : il y eut un précédent dès 2000 avec le FAI NoPub", in ZDNet, 04/01/2013. Disponible sur : http://www.zdnet.fr/actualites/filtrage-de-la-pub-par-free-il-y-eut-un-precedent-des-2000-avec-le-fai-nopub-39785864.htm. Consulté le 05/01/2013.

[11Punie Yves & Ala-Mutka Kirsti (2007). "Future learning spaces : New ways of learning and new digital skills to learn". Digital Kompetanse, vol. 2, avril, p. 210–225. En ligne. Disponible sur : http://is.jrc.ec.europa.eu/pages/EAP/documents/2007Learning_SpacesDigitalLiteracy_000.pdf. Consulté le 03/01/2013. Les auteurs précisent par exemple que « The Commission communication or key competences for lifelong learning (COM 2005/548 [Disponible sur : http://ec.europa.eu/education/policies/2010/doc/keyrec_en.pdf. Consulté le 03/01/2013.]) defines the elements of digital competence as knowledge (of ICT tools and the opportunities they provide for working), skills (for using tools for work, assessing information) and critical and reflective attitude (for media, communities) », que « Basic education needs to provide the basic competences for young people, and the learning spaces need to support updating and improving these skills for people during and after their formal education. » (p. 219), ou encore que « The learner needs to be competent with different tools and media formats, both for using them and for expressing own knowledge, creativity and learning results with them. Basic skills for information searching are essential and quick evaluation skills of information become increasingly important, as there are a lot of information and resources available. These are essential basics for finding good resources, acquiring and learning relevant knowledge, for connecting with other relevant people and for being able to build new knowledge together with them. » (p. 220).

[12Le texte est disponible sur le site Eduscol, http://eduscol.education.fr/cid60332/vers-des-centres-connaissances-culture-vade-mecum.html (consulté le 25 mai 2012). Une analyse critique est proposée ici : spip.php ?article11

[13Sur le travail pédagogique possible autour du document de collecte : Boubée, Nicole. "Le rôle des copiés-collés dans l’activité de recherche d’information des élèves du secondaire", article en ligne sur @rchiveSIC. Disponible sur : http://archivesic.ccsd.cnrs.fr/sic_00344161. Consulté le 07/01/2013. Egalement du point de vue pédagogique : "Le document de collecte en bref", in Mes docs de doc, 26/03/2012 [en ligne]. Disponible sur : http://mesdocsdedoc.over-blog.com/categorie-12364016.html. Enfin dans une progression pédagogique, travail issu du travail précédent, en Cinquième et en Quatrième, sur ce site à spip.php ?article19

[14Dutta Soumitra & Bilbao-Osorio Benat (2012). Global Information Technology - Report 2012 : Living in a hyperconnected world. Genève : World Economic Forum. En ligne. Disponible sur : http://reports.weforum.org/global-information-technology-2012/. Avec un résumé en ligne en Bibliographie VST-INRP, Disponible sur : http://wikindx.inrp.fr/biblio_vst/index.php?action=resourceView&id=8393 Consulté le 03/01/2013.

[15Punie Yves, Zinnbauer Dieter & Cabrera Marcelino (2006). A Review of the Impact of ICT on Learning. JRC- Commission européenne. En ligne. Disponible sur : http://ipts.jrc.ec.europa.eu/publications/pub.cfm?id=1746. Consulté le 05/01/2013.

[16En particulier sur la dernière proposition, on se reporte à : Thibert, Rémi. ’’Pédagogie + Numérique = Apprentissages 2.0’’, in Dossier d’actualité Veille et Analyses de l’IFE ENS Lyon, n° 79, 11/2012, p. 6 [PDF en ligne]. Disponible sur : http://ife.ens-lyon.fr/vst/DA/detailsDossier.php?parent=accueil&dossier=79&lang=fr. Consulté le 03/01/2013.

[17Thibert, op. Cit., p. 8 : qui se réfère à Viau Rolland (2009). La motivation en contexte scolaire. Bruxelles : De Boeck, 2e éd. (1re éd. 1994).

[18Citons de nouveau Punie Yves & Ala-Mutka Kirsti (2007) : « Self-management skills in terms of timing and concentration for the most relevant learning topics among the abundance of information and opportunities available in learning spaces are skills that need continuous development. Learning-to-learn and selfmanagement skills are required for using the freedom of learning spaces for enhancing the efficiency of one’s personal learning and for not becoming distracted by the flexibility provided. Learning-to-learn skills both in general and related to the ICT tools available need to be specifically addressed when preparing people for lifelong learning either in formal education or in the later learning phases of life. » (p. 223).

[19On retrouve par ailleurs ce défaut dans la synthèse citée, alors que les études anglaises de référence font bien la distinction entre ces niveaux d’étude, ou appliquent clairement leurs prérogatives au seul enseignement supérieur : Thibert, Rémi. Op. cit., p. 11.

[20Mathias, Paul. "L’Internet en usage : une difficile liberté", in Esen-Education.fr, 13/03/2012 [en ligne]. Disponible sur : http://www.esen.education.fr/fr/ressources-par-type/conferences-en-ligne/detail-d-une-conference/?idRessource=1385&cHash=d871a1ccea&p=2. Consulté le 08/01/2013. Sur le plan Dune (lien vers le rapport de juillet 2012 et analyse critique de ce rapport) : spip.php ?article23.

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