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Jocelyne Ménard et ses conclusions hâtives

mercredi 5 mars 2014, par Florian Reynaud

Soutenue en 2013, la thèse de doctorat de Jocelyne Ménard en Sciences de l’éducation porte sur le métier de professeur documentaliste. L’orientation institutionnelle de ce travail et les choix méthodologiques opérés amènent à une lecture critique de la thèse et surtout de ses conclusions.

Le 24 janvier 2014, une version partielle de la thèse de doctorat de Jocelyne Corbin-Ménard a été publiée sur le serveur de thèses multidisciplinaire TEL Archives ouvertes, à l’adresse suivante : http://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00935994. Il s’agit d’un travail portant sur les professeurs documentalistes, avec pour titre :

La construction d’un métier de l’enseignement entre logiques identitaires et activité des sujets. Le travail du professeur documentaliste : une conception contemporaine de la fonction enseignante ?

Cette thèse a été soutenue le 17 décembre 2013 à l’Université de Rennes-2, avec un jury composé de quatre professeurs ou maître de conférences en Sciences de l’éducation, et d’un professeur en Sociologie : Brigitte Albero, directrice de thèse, Thérèse Perez-Roux, Yves Dutercq, Geneviève Lameul et Richard Wittorski.

Ce compte rendu reprend chaque partie, sous forme d’une lecture linéaire critique.

1re partie : le positionnement sociopolitique et institutionnel du professeur documentaliste dans l’éducation nationale : entre spécificité et ambiguïté

Dans un premier temps, Jocelyne Ménard étudie « le positionnement sociopolitique et institutionnel du professeur documentaliste », en précisant cette spécificité française (reprise à moindre échelle, mais en projet d’extension, en Roumanie, au Portugal, au Japon), puis les particularités statutaires de la profession, ainsi avec une circulaire de missions (1986) antérieure à la création du CAPES (1989). On observe qu’il n’y a pas de service d’enseignement pour ce professionnel pourtant chargé de former les élèves « à la recherche documentaire », champ de formation qui s’est largement élargi avec le développement numérique, mais sans nouvelle définition de la mission. Le maximum de service est lui-même défini avant le CAPES et avant la circulaire de missions, à savoir en 1979, à 36 heures dont 6 heures consacrées à des tâches extérieures :

petite erreur de Jocelyne Ménard, donc, p. 18, les professeurs documentalistes ne dépendent pas du Décret n°80-28 du 10 janvier 1980, qui porte sur d’autres personnels affectés sur ces fonctions, mais de la Circulaire n° 79-314 du 1er octobre 1979 : « Quel que soit le corps de fonctionnaires auquel ils appartiennent, les professeurs exerçant à temps complet des fonctions de documentation et d’information sont tenus de fournir, sans rémunération supplémentaire, un maximum de service hebdomadaire de trente-six heures dont six heures seront consacrées aux tâches de relations avec l’extérieur qu’implique la mission de documentation (démarches hors de l’établissement pour l’organisation de visites, conférences, expositions, rencontres et recherches documentaires). », erreur corrigée p. 259-260.

L’auteure revient sur le rattachement progressif, à partir de 2001, aux Sciences de l’information et de la communication, mais sans discipline scolaire dans le second degré, avec des inspecteurs qui ne sont pas spécifiques (Inspection Établissement – Vie scolaire) et qui ne sont pas issus du corps des professeurs documentalistes. Jocelyne Ménard interroge cette absence de discipline, dans un premier temps sous forme de questions dans lesquelles elle remet en doute l’existence même du CAPES, si la documentation ne consiste qu’à proposer des ressources et guider les usages en milieu scolaire, mais dans un deuxième temps avec une remise en question intéressante de la dichotomie entre discipline (« discipline traditionnelle » selon les termes du Ministère) et mission d’initiation et de formation, en ajoutant que l’organisation des apprentissages a été mise en avant par les Inspecteurs académiques, par l’APDEN, et plus globalement je l’ajoute, par les professeurs documentalistes eux-mêmes.

Beaucoup de travaux sont publiés, dans ce sens, entre 1995 et 2005, avec l’impression d’un coup d’arrêt dans cet élan pour la constitution d’un enseignement réfléchi, même si certains groupes de travail ont poursuivi. L’APDEN, parmi d’autres, et des chercheurs en Sciences de l’information et de la communication, avec des réflexions parfois communes, ont travaillé sur les savoirs spécifiques de l’info-documentation, sans abandonner la notion de compétence, contre ce que dit Jocelyne Ménard en considérant comme compétence, dans son propos, la seule compétence procédurale (p. 27).

L’idée du curriculum info-documentaire est postérieure et complémentaire aux travaux de référentiels, avec un champ qui s’est élargi depuis l’initiation à la recherche documentaire, vers des enseignements et apprentissages associés à l’information et à la documentation, dans des pratiques soutenues par l’évolution théorique des recherches en SIC. L’évocation de cette évolution, dans cette partie, manque, alors qu’elle est implicite par ailleurs. Les travaux du GRCDI sont survolés, pour ne pas dire méprisés :

« En synthèse, depuis l’émergence des référentiels jusqu’aux tentatives d’élaboration d’un curriculum et aux volontés de construire la didactisation d’une discipline, la « documentation » oscille entre compétences et savoirs et apparaît plus rarement formulée en soi, sans autre référence qu’elle-même. Dans les expressions usuelles qui se réfèrent aux compétences et savoirs du domaine, l’ajout de l’adjectif « documentaire » n’éclaire pas pour autant ce que recouvre précisément la « documentation », pas plus que dans l’expression « savoirs scolaires en documentation ». Dans ces conditions, il est donc difficile de préciser à quoi correspondent un CAPES de documentation et un professeur certifié en documentation. » (p. 30-31)

L’auteure, dans son propos, penche clairement du côté de l’institution, dans la présentation des parties. Il est dommage de retrouver ici ce langage convenu. Ce rapport aux travaux de l’ERTE, ignorés, ou du GRCDI, sur des contenus qui ne paraissent pas maîtrisés tant ils sont survolés, posera bien évidemment question quand il s’agira pour l’auteure de développer la question de l’environnement technologique, en se focalisant sur « l’environnement de travail », d’après des prescriptions institutionnelles, sans aborder la question des savoirs scolaires associés à l’évolution du numérique et de la culture informationnelle (p. 34-36), sans approche didactique aucune dans ce travail de thèse en Sciences de l’éducation.

Jocelyne Ménard précise qu’il y a 10 764 professeurs documentalistes au 1er février 2012 (avec pour source les statistiques de la DEPP, au 01/02/2012, mais sans que les annexes annoncées soient publiées dans cette version partielle de la thèse). Elle en montre la diversité de recrutement, à 61,1 % tout de même au CAPES externe ou interne, et à 10,2 % en troisième voie, ce qui laisse 28,7 % « recrutés sans passer ni concours ni examen de qualification professionnelle » ; 82,2 % sont certifiés, toutefois, pour 15,7 % de « contractuels, vacataires ou maîtres auxiliaires, sur des fonctions de documentation » (contre 5,3 % « toutes disciplines et tous corps confondus » [1]). Reste 2,2 % de provenances diverses parmi les titulaires autres que certifiés ou AE. Jocelyne Ménard poursuit en pointant le problème de la formation initiale, associée à ce tableau du recrutement.

Le chapitre 4 pointe la responsabilité rédactionnelle des personnels du Ministère de l’Éducation nationale à mélanger les expressions qui désignent les professeurs documentalistes dans les textes produits sur les sites officiels. Inconstance, instabilité, ambiguïté : voici les termes choisis par l’auteure pour qualifier cette communication institutionnelle sur le rôle du professeur documentaliste, qui n’est pas sans poser problème selon elle pour l’exercice de la mission. Le même travail est effectué pour cerner la place donnée publiquement au professeur documentaliste, avec une méthode de recherche et d’analyse étonnante, mais sur des résultats qui sont peut-être signifiants, malgré tout. Il en ressort une variété de désignations, plus souvent éloignées de l’expression de « professeur documentaliste », avec une exclusion de mise en lycée. L’auteur donne bien la précaution de dire que la panel n’est pas représentatif, avec une analyse qui souffre du moindre accident casuel, mais cette précaution sera mise de côté lorsqu’il s’agira d’énoncer des conclusions générales à la thèse... Il n’en reste pas moins que le professeur documentaliste apparaît largement comme non enseignant, dans un discours ambiguë de l’institution, dans un discours de méconnaissance depuis les établissements.

Jocelyne Ménard voit une solution à ce problème dans deux textes, le PACIFI et le Vademecum 3C, qui, soit dit en passant, n’ont aucune portée réglementaire, textes présentés longuement comme favorisant une meilleure définition du métier, sans enseignement direct. Les critiques sont données en référence, de la part de l’APDEN ou de certains professionnels. On aurait pu s’attendre à ce que l’auteure elle-même apporte des contradictions objectives et détaille les éléments critiques, d’autant plus quand elle s’est attelée à mettre en cause juste avant les autres textes du Ministère. Mais elle s’en dispense, donc.

2e partie : enseigner aujourd’hui

Jocelyne Ménard pose le contexte éducatif en France, avec l’éclairage des Sciences de l’éducation, quasi exclusivement, dans un premier chapitre.

Rattrapée par la subtilité des textes, l’auteure, quand elle étudie l’évolution de la conception de l’enseignement en France, fait une erreur étonnante lorsqu’elle explique que les professeurs documentalistes ne sont pas concernés par le « savoir », au même titre que les CPE, dans le référentiel des compétences professionnelles des métiers du professorat et de l’éducation (p. 71). Elle oublie donc que les professeurs documentalistes, en jouant aussi d’ambiguïté, sont concernés par les compétences de tous les professeurs, au même titre que les professeurs dits de discipline, avec des compétences spécifiques qui en réalité viennent en complément, et non pas en remplacement, tandis que les CPE ne sont pas concernés, eux, par les compétences professionnelles des professeurs.

Jocelyne Ménard demande pourtant juste à la suite, obviant cette maladresse, quels sont les « savoirs disciplinaires » et la didactique que les professeurs documentalistes doivent maîtriser, ne citant alors que l’éducation aux médias et à l’information, en oubliant le titre des compétences spécifiques relatif à la « culture de l’information et des médias » qui peut pourtant constituer un « domaine d’enseignement », terme de substitution éventuel à celui de discipline, proposé dans le référentiel, mais que l’auteure n’a peut-être pas vu [2].

Jocelyne Ménard développe ensuite la question du développement du numérique à l’école, regrettant, sources nombreuses à l’appui, la lente intégration des nouvelles technologies dans les apprentissages. Précisant l’importance des usages numériques des jeunes, en particulier sur Internet, elle dépasse le mythe de digital natives en pointant les obstacles à l’usage critique de l’Internet, en termes de recherche et d’évaluation de l’information. Il s’agit là pour l’auteure d’écrire que les pratiques des enseignants doivent évoluer, sans encore de précisions, qui ne viendront pas dans la suite du texte.

Jocelyne Ménard se penche sur les inégalités entre élèves, entre élèves et professeurs, d’un point de vue social, sur la question de l’accès à Internet. Il s’agit ensuite de revenir sur le terme d’enseignant, sur son évolution et sur ce qu’il recouvre, sur le décalage entre les savoirs universitaires et ce qui est demandé de faire devant les élèves, avec en particulier des « injonctions » annexes (B2i, HDA) ; notons que le PACIFI est par confusion ici cité comme une injonction.... Elle revient sur l’expression de « discipline scolaire » et sur sa construction sociale qui en fait un élément étroit dans beaucoup d’esprit, qui peut être pourtant définie simplement comme « un ensemble de contenus, de dispositifs, de pratiques, d’outils… articulés à des finalités éducatives » (Reuter, Cohen-Azria, Daunay, Delcambre, & Lahanier-Reuter, Dictionnaire des concepts fondamentaux des didactiques, 2007, p. 85 ; cité p. 90). Malheureusement Jocelyne Ménard s’engouffre régulièrement dans cette construction sociale qu’elle dénonce, considérant ainsi que les professeurs documentalistes n’enseignent pas de « discipline scolaire spécifique » (p. 115), ce que l’on peut pourtant discuter, selon la définition citée au-dessus. Ou encore dit-elle que les professeurs documentalistes ne sont pas mis en valeur, eux, par la performance des élèves aux examens (p. 115), alors que les examens, proprement dits, ne concernent qu’un nombre très réduit de domaines d’enseignement, au collège, et que les professeurs documentalistes se soucient effectivement, par ailleurs, d’une évaluation de leurs apprentissages, sans nécessairement passer par la notation.

Mais le 2e chapitre, justement sur l’être professeur documentaliste, pourrait, se dit-on, venir clarifier ces questions. Il vient surtout clarifier le point de vue l’auteure. Ainsi, quand elle vient citer Marie-France Blanquet pour préciser que le professeur documentaliste est un professeur lié au document, dans sa racine latine (docere, enseigner), à comprendre qu’il enseignerait donc à travers la mise à disposition de documents, mais aussi qu’il est « documentaliste pour toutes les disciplines » (p. 120), comme s’il s’agissait d’une évidence. Cette interprétation du métier est problématique, d’autant plus de la part d’une auteure qui s’est démarquée en 2013 par un positionnement délicat vis-à-vis de la profession, sans respect pour la mission intrinsèque des professeurs documentalistes [3].

Jocelyne Ménard rappelle ensuite les différences de conception du métier, avec des impressions éloignées des missions réelles pour les enseignants de discipline et pour les personnels de direction, avec une identité enseignante mise en valeur par les professeurs documentalistes. Pour autant, l’auteure souligne, avec la thèse de Marie-Annick Le Gouellec-Decrop (Les documentalistes des établissements scolaires : émergence d’une profession écartelée en quête d’identité), qui expliquait en 1998, s’appuyant sur une dichotomie entre les recrutés par CAPES et les « anciens », que « l’identité enseignante était davantage une « identité revendiquée », « par une fraction minoritaire mais agissante du corps » qui espère entre autre par ce biais l’obtention d’une agrégation (ibid. 1998, p. 150) » (cité p. 122). Jocelyne Ménard précise que cette observation ne vaut plus, sans préciser la remise en cause évidente de ces vues par l’ensemble des enquêtes effectuées depuis 1998 par exemple. Le biais exploité ici, en utilisant par exemple la thèse de Florence Thiault, interprétée librement, est de dire que la majorité silencieuse de la profession ne revendique pas l’identité enseignante, ce qui est simplement déduit d’une absence d’expression de la part de cette majorité, logique de raisonnement bien discutable... Et l’auteure ne dit rien des théories sociologiques relatives à l’engagement professionnel ou au rôle des associations professionnelles ou syndicats...

Il en ressort une adhésion de Jocelyne Ménard à la thèse de Le Gouellep-Decrop, citée neuf fois [4], suivant par ailleurs Bruno Devauchelle, dans ses énoncés performatifs, et Marie-France Blanquet, considérant qu’il ne peut y avoir d’enseignement ou d’apprentissages préparés et organisés par le professeur documentaliste, ce qui supposerait un service d’enseignement, mais qu’il doit y avoir un travail de médiation pédagogique, à partir de la mise à disposition de ressources qui participent de l’autodidaxie de l’élève. La discipline ou l’enseignement seraient, selon eux, une réduction de la pédagogie, allant à l’encontre de l’évolution de l’école. Thèse de circonstance ?

La liste nombreuse des autres thèses développées, mais aussi des publications présentées « depuis une quinzaine d’années », quand on entre dedans, permet de développer d’autres points de vue, sans qu’on puisse écrire, par exemple pour Florence Thiault, que « parallèlement, du fait de son engagement dans le GRCDI, elle semble elle aussi faire partie de ceux qui pensent que la construction du métier ne peut se concevoir autrement qu’en trouvant un point d’ancrage scientifique et disciplinaire, assorti d’une didactique propre » (p. 130-131) : on peut considérer aisément que la conception du métier conduit à l’engagement, et non l’inverse ! Il n’est pas question de savoir quel point de vue est le plus défendu, celui d’un enseignement info-documentaire ou celui d’une pédagogique informelle à travers le document ; la qualité et la rigueur scientifique vont évidemment du côté d’un développement de l’enseignement info-documentaire, sans que l’autorité donnée à Marie-France Blanquet ne vienne y changer grand chose, connue donc pour son refus de la dimension enseignante du métier, tandis qu’on oublie d’autres recherches qui viennent à l’appui d’une didactique info-documentaire, ainsi celles d’Anne Cordier, d’Alexandre Serres, etc.

3e partie : l’activité du professeur documentaliste aux confins de la professionnalisation et de la construction de l’identité professionnelle

Jocelyne Ménard insiste pour une perception du « travail réel » des professeurs documentalistes, à partir de leur propre représentation du métier, ainsi que de la représentation des autres professionnels qu’ils côtoient, à savoir les autres enseignants. Il s’agit en particulier de préciser pour l’auteure que les revendications de l’association professionnelle APDEN ne sont pas partagées par tous (réduites ici à un rapprochement des conditions qui entourent le professorat du second degré), avec une phrase étonnante : « Pour autant, on ne peut affirmer que tous les professeurs documentalistes en exercice partagent ce point de vue, ni même que celui-ci est majoritaire dans la profession, étant donné qu’au sein de l’ensemble de ce groupe, les représentations actuelles du métier sont méconnues. » (p. 142). Aucune référence, bien sûr, de la part de l’auteure, aux différentes enquêtes menées auprès des collègues...

Pour préciser ce « travail réel », il s’agit d’abord d’une trentaine de pages d’analyses qui ne s’appuient pas encore sur l’enquête elle-même (p. 137-167), mais sur quantité de suppositions associées aux théories de la psychologie sociale, de la psychologie cognitive et de la sociologie des professions, en termes de pratiques professionnelles. Il paraîtrait pourtant bienvenu de présenter une analyse critique des résultats, en regard des théories, mais ici la théorie précède l’analyse, posant les conclusions comme préalables. Par ailleurs, il convient de préciser, vu les remarques de l’auteure au sujet de l’association professionnelle – elle oublie de parler des syndicats, qu’elle néglige tout le champs de la sociologie des professions associée au travail militant et au rôle représentatif et positif des associations professionnelles (Bourdoncle, 1991, et Dupar, 1998, cités par ailleurs ; Tardif et Lessard, 2004, non cités [5]).

Jocelyne Ménard associe en partie les pratiques des professeurs documentalistes, assez logiquement, aux prescriptions, mais en mélangeant malheureusement là ce qui relève de textes réglementaires (circulaire de 1986, référentiel de compétences de 2013) et ce qui relève de textes officiels non prescriptifs (PACIFI de 2010, Vademecum 3C de 2012) ; ces confusions sont bien problématiques. Le choix est fait que « l’étude s’oriente vers l’étude de cas de sept professeurs documentalistes exerçant dans des contextes d’établissement différents (selon le type, la taille, etc.), ayant une ancienneté dans la fonction différente, ayant accédé à cette fonction de manière différente, mais agissant nécessairement en référence à des prescriptions ministérielles communes. » (p. 163) Le choix est fait, finalement, d’une ambivalence non significative du métier.

4e partie : méthodologie

La partie méthodologique permet de comprendre le processus de la recherche, a priori entreprise dès l’idée d’une réussite au CAPES de Documentation par l’auteure, sans exercice du métier au-delà de l’année de stage, passant directement vers la formation des professeurs documentalistes stagiaires, tout en continuant d’apprendre à connaître le métier.

Les observations informelles feraient partie de la recherche doctorale, puis ce sont surtout les entretiens qui sont mis en avant, entretiens semi-directifs avec 16 professeurs documentalistes, complétés par des études de cas pour 7 d’entre eux, choisis selon les critères signalés ci-dessus. Notons le caractère très limité géographiquement de cette étude, qui se restreint sur l’académie de Rennes, voire a priori sur le département de l’Ille-et-Vilaine, sans portée nationale, ce qui pose réellement problème quand on connaît la différence des prescriptions ou injonctions entre chaque inspection académique et quand on sait la spécificité de l’académie de Rennes, qui, avec l’académie de Nantes, compte près de la moitié des EPLE dans le privé, secteur qui n’est pas considéré dans l’enquête (on peut alors douter de l’affirmation de l’auteure, que « Aucun motif fondé ne pouvait faire craindre que dans ce département les représentations diffèrent du fait de l’influence de tel ou tel facteur », p. 181). C’est a priori un choix d’investissement limité dans les déplacements qui explique cette restriction...

Le choix assumé d’une hétérogénéité des profils pose également problème, dans le sens où il valorise des divisions qui n’existent pas de manière proportionnelle en réalité ; mais les résultats peuvent être intéressants, le doute reposant surtout sur le risque d’une récupération politique idéologique des résultats présentés : loin des proportions réelles, c’est tout de même quatre reconversions parmi les sept études de cas !

Une enquête plus importante en nombre, auprès de 205 professionnels, dont 68 professeurs documentalistes, ne suppose pas davantage de représentativité, ce qui n’était pas pour l’auteure le but recherché (p. 178).

5e partie : les représentations du métier de professeur documentalistes

Alors que l’enquête ne vise déjà pas la représentativité, Jocelyne Ménard appelle à la prudence quant à la comparaison entre groupes de 60-70 individus (professeurs documentalistes, CPE, professeurs stagiaires) et faible effectif des 11 chefs d’établissement, alors que chaque panel n’est tout simplement pas significatif. D’autant plus qu’on dépend dans cette étude d’un espace restreint, dans lequel espace l’auteure est elle-même formatrice, pour la formation initiale des professeurs documentalistes.

Les conclusions rédigées dévoilent une méconnaissance des professeurs stagiaires de discipline de la mission du professeur documentaliste, avec sans doute un problème dans la formation de ces professeurs, encore que les résultats ne sont pas particulièrement significatifs, avec l’espoir d’une malléabilité intéressante dans le cadre de ces formations, donc. C’est d’ailleurs la principale faiblesse de la thèse : beaucoup de précautions (petits panels, espace restreint, subjectivité professionnelle qui agit sur les enquêtés, absence assumée de significativité), et pourtant les conclusions sont là, et c’est souvent ce qu’on retient (l’exemple de la thèse de Le Gouellep-Decrop semble éclairante à ce sujet).

Avec l’analyse lexicométrique, les professeurs documentalistes seraient les seuls à mettre en avant la polyvalence du métier, en relation avec une certaine liberté et le manque de reconnaissance : les personnels de direction et CPE leur attribuent un rôle spécifique de pilotage ; les CPE voient en eux une expertise dans l’informatique et l’orientation des élèves ; les stagiaires insistent sur l’aide qu’ils peuvent apporter aux collègues enseignants (ce qui ressortait déjà). Toutes précautions de mise, bien sûr...

Il ressort de tout cela une méconnaissance de la mission du professeur documentaliste par les autres professeurs, par les CPE, par les personnels de direction. On n’apprend rien, mais c’est écrit dans une thèse. Soit.

L’étude de cas, auprès de sept professeurs documentalistes, apporte peu, tant l’approche méthodologique pose problème, non pas dans la méthode elle-même, mais dans l’absence de représentativité et de significativité. Il ne s’agit pas de cas différents, mais d’une forme d’approche représentative, dans l’analyse, sans être représentative donc, avec un corpus difficile à cerner, et des conclusions difficiles à contextualiser. Il est beaucoup question semble-t-il, du développement de l’autonomie de l’élève, sans qu’on sache à quoi correspond cette notion – l’idée n’est pas développée, alors que l’auteure aurait pu chercher du côté de Vincent Liquète des éléments intéressants, pour ce qu’elle suppose comme apprentissages, si ce n’est peut-être dans l’aide informelle apportée aux élèves. Elle ne développe pas la question, ni ne cite les travaux essentiels des sciences cognitives, au sujet des apprentissages et de l’enseignement, de la part d’André Tricot et Jean-François Rouet pour ne citer qu’eux.

6e partie : l’activité du professeur documentaliste

N’ayant rien de sensible à retenir de cette étude effectuée auprès de sept professeurs documentalistes, interrogeons toutefois la manière et la rhétorique. Ce qui n’est pas questionné, par exemple. Quand on entend que le premier niveau, la Sixième pour le collège et la Seconde pour le lycée, « semble être une priorité pour les sept professeures documentalistes » (p. 354), alors que l’on pourrait penser que c’est une organisation usuelle, facilitée par une lecture limitée des prescriptions de la circulaire de 1986, d’une part, et qu’elle répond à la difficulté de travailler en indépendance avec les autres niveaux, d’autre part. Ces éléments ne sont pas interrogés dans la thèse, sur la manière d’organiser le travail et les séquences pédagogiques. En focalisant sur le ressenti et sur les pratiques effectives, on ne développe pas ici la question des pratiques pédagogiques et des obstacles à leur mise en œuvre.

Jocelyne Ménard insiste de nouveau sur le développement de l’autonomie, toujours sans que l’on sache ce que l’on peut mettre derrière d’après les sept professeurs documentalistes enquêtées. L’auteure va toutefois chercher ce que cela suppose en termes de professionnalité, avec le raccourci d’affirmer que, dans le « référentiel des compétences professionnelles des métiers du professorat et de l’éducation », « l’autonomie est associée à deux domaines de compétences : - maîtriser les connaissances et les compétences propres aux médias et à l’information ; - assurer la responsabilité du centre de ressources et de la diffusion de l’information au sein de l’établissement. » (p. 370). Par la suite, il s’agit de cerner, parmi toutes les observations effectuées auprès des sept collègues, tout ce qui peut contribuer au développement de l’autonomie des élèves, sur de l’informel, sur de l’action indirecte, dans un cadre théorique qui relève davantage du mythe que de l’efficient, sans évaluation aucune, sans approche didactique de la question ; pour autant l’autonomie permise n’induit pas d’autonomisation effective, ce n’est nulle part écrit... La lecture des prescriptions pose question malgré tout ce qui est écrit sur les pratiques, en prenant appui sur le référentiel pour « choisir » des entrées limitées, et seulement parmi les compétences spécifiques des professeurs documentalistes, en oubliant qu’ils sont également concernés par les compétences communes à tous les professeurs ! (p. 375)

Les termes de l’enquête et de l’analyse ne sont pas suffisamment questionnés : on parle d’objectif d’éducation et de développement, vis-à-vis de l’élève, sans retenir ni enseignement ni apprentissages (p. 381), alors que l’auteure se situe bien selon des expressions issues des prescriptions, sans nécessairement interroger leur sens. Cela pose problème d’autant plus que le fonds même de ce qu’est l’enseignement est mis en interrogation au début de la thèse, mais sans jamais que cette interrogation soit de nouveau mise en valeur dans le reste du texte, si ce n’est en référence à des prescriptions anciennes et à des ressentis qui font écho à ces prescriptions. En outre, l’auteure insiste sur les espaces (physiques du CDI et de l’EPLE, et virtuels), dans lesquels s’inscrivent les activités multiples du professeur documentaliste, selon ses conceptions propres de l’apprentissage, termes sur lesquels on rejoint l’absence de significativité de l’enquête d’une part, l’absence de référence aux formations initiales et continues d’autre part.

Conclusions

La conclusion de la thèse, ce que le plupart lisent, ou retiennent, sans lire le reste, ce qui est somme toute logique, est alors surprenante quand on a lu le reste et que l’on sait à quoi l’on peut s’en tenir. On lit ainsi que

« le métier de professeur documentaliste évolue en faisant face à un paradoxe : faire exister une profession dont nombre d’acteurs aspirent à la reconnaissance d’une fonction d’enseignement, tout en permettant l’émergence de conduites plus adaptées et plus contemporaines, liées aux fonctions d’instrumentation des apprentissages, d’accompagnement du développement des jeunes adolescents du second degré et de médiation dans des espaces de travail orchestrant une diversité de ressources » (p. 388)

Pourtant cette fameuse « fonction d’enseignement » est mal questionnée dans la thèse, et l’on passe à côté d’apprentissages pourtant essentiels, à côté d’une pédagogie de projets jamais citée, à côté d’une pédagogie active ignorée par l’auteure, ou encore de la question de l’évaluation. Le fait d’un panel peu significatif et restreint n’est pas la seule explication de ce résultat : on peut questionner les motivations de l’auteure et sa subjectivité. Dans la même veine :

« Sans doute une attention plus précise accordée aux caractéristiques de ce qui est appelé « fonction d’enseignement » et ses liens avec ce que pourrait être la documentation en tant que « discipline scolaire » permettrait de mieux mettre en valeur à quel point de telles dimensions relèvent d’une perspective passéiste et limitent le potentiel de ce métier à engager l’ensemble des acteurs de l’éducation dans la réflexion sur les caractéristiques de l’action éducative au XXIème siècle. » (p. 388)

Ces conclusions sont amenées en toute liberté et subjectivité par l’auteure, avec un parti pris rhétorique qui ne s’appuie sur rien. Le décalage entre le développement de la thèse et la conclusion est à cet égard criant.

Jocelyne Ménard se permet enfin de faire la leçon aux chercheurs de ses dix ou quinze dernières années, sans prendre la mesure, semble-t-il, de ce qu’elle propose. Les deux phrases citées précédemment vont d’emblée se heurter à sa propre hypothèse « d’une fonction enseignante originale et nouvelle susceptible de concerner l’ensemble des professeurs du second degré », dont les professeurs documentalistes (p. 389), une hypothèse qui n’aurait pas été envisagée, mais dont on ne cerne pas davantage la consistance après la lecture de cette thèse.

Autre dérive de cette conclusion, à laquelle on pouvait s’attendre : passer de résultats non significatifs, non représentatifs, sur un panel choisi selon des critères très discutables, à des conclusions générales qui ne souffrent plus de précautions :

« Au final, les résultats confirment que les professionnels du domaine peinent encore, après plus de deux décennies d’exercice et de tentatives de structuration du champ, à définir précisément leur métier. Tous ne s’accordent pas sur l’existence de compétences spécifiques : certains ne parviennent pas à en énoncer, d’autres les situent exclusivement dans le domaine de la bibliothéconomie, d’autres dans celui de l’éducation à l’information. Sur ce point, les avis sont partagés, certains professeurs documentalistes allant même jusqu’à estimer que d’autres professeurs sont aussi compétents qu’eux dans ce domaine. » (p. 390)

On comprend mieux le choix des sept professeurs documentalistes... Le problème principal de ce type de thèse, d’où cet article, c’est qu’elles sont reprises dans d’autres travaux de recherche et publications diverses, ensuite uniquement d’après les conclusions, bien souvent, comme il peut être considéré qu’une thèse soutenue contient des conclusions scientifiques, argumentées, prouvées, ce qui n’est pas le cas ici. Ce n’est pas la première, ce n’est pas la dernière, ce n’est pas une raison pour fermer les yeux et laisser passer, pour que dans dix ans encore ce soit un frein, comme d’ailleurs la thèse de Le Gouellep-Decrop ressortie ici, de nouveau, à une évolution positive du métier.

Documents joints

Notes

[3Le 7 février 2013, lors de l’InterTICE, à La Défense, Marie-France Blanquet propose un point de vue ainsi très limité sur les compétences enseignantes du professeur documentaliste ; venir de la documentation d’entreprise n’y est pas pour rien. Communication disponible sur : http://www.documentation.ac-versailles.fr/spip.php?article200

[4Thèse sur Les documentalistes de l’Education Nationale. Emergence d’une profession en quête d’identité, soutenue en 1997 à l’Université de Nantes, qui s’appuyait essentiellement sur les notices d’inspection de l’auteure elle-même...

[5Bourdoncle, R. La professionnalisation des enseignants : analyses sociologiques anglaises et américaines. Revue française de pédagogie, n° 94, 1991, p. 73-92.
Dubar, C. La socialisation, construction des identités sociales et professionnelles. Paris : Armand Colin, 1998.
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