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Analyse Fourgous V2 : 1. Une orientation faussée sur les TICE

lundi 14 mai 2012, par Florian Reynaud

Se fondant sur un positionnement idéologique discutable, Jean-Michel Fourgous joue rapidement avec les chiffres pour faire passer des propositions qui n’en deviennent que plus fragiles. Qu’il s’agisse de l’orientation donnée aux nouvelles technologies de l’information et de la communication à l’école (TICE), ou encore des considérations développées sur l’équipement des établissements scolaires, le rapport peut sembler dans l’erreur à maintes égards.

1. Une orientation faussée sur les TICE

Référence  : analyse de la partie 1 du rapport (« vers une société en réseau »), p. 21-42

1.1. Un positionnement idéologiquement marqué

Le ton est donné rapidement, sur une première partie encore introductive, quant à l’intérêt des TIC pour l’école et l’éducation, mais avec un point de vue bien particulier. L’éducation et les TIC forment un enjeu essentiellement économique, et l’auteur du rapport va rechercher la base de son argumentation dans un cadre idéologique économiquement libéral, radicalement progressiste, avec une orientation claire vers les entreprises et le management.

M. Fourgous écarte la question des moyens pécuniaires pour défendre une évolution naturelle du e-learning, qui serait utilisé logiquement dans le privé, et qui donc par là même a de bonnes raisons d’être développé dans le public. Pourtant, c’est bien le peu de moyens accordés à la formation qui explique la réduction du coût permise par l’emploi de ressources numériques, sans que le travail pédagogique en soit meilleur. M. Fourgous écarte par ailleurs l’idée d’une formation nécessaire à la capacité d’être autodidacte. La question des serious games est amenée, comme dans le rapport précédent de 2010, sans assise théorique et sans recul au sujet de l’histoire des jeux éducatifs. De même, il ne pose aucune sagesse sur le développement du web social dans le comportement psychologique et social des individus, avec les risques professionnels que ces usages comportent, renvoyant toujours cela à une évolution naturelle, sans grand changement à ce sujet par rapport à son texte de 2010.

Le rapport se veut argumentatif, mais sans raisonnement scientifique logique. Il ne s’agit que d’affirmations et d’injonctions. On peut lire par exemple que la culture numérique nécessite, entre autres éléments éventuellement intéressants, mais sans raisonnement, « une culture de l’innovation : la capacité à suivre et analyser les activités qui se déroulent sur le web, la capacité à faire des liens entre les différentes notions, à créer, innover ; la capacité à entreprendre. Cela nécessite d’être actif et critique face à l’information lue et d’avoir une attitude positive vis-à-vis de la nouveauté. » (p. 25) On peut se demander ce que l’on peut mettre derrière cette culture de l’innovation, qui présage l’esprit critique (plutôt que le contraire ici), ou encore ce qui se cache derrière cette « attitude positive vis-à-vis de la nouveauté »...

Mais on pourrait encore dire, malgré la sagesse et l’objectivité que mériterait une telle mission, un tel rapport, qu’il s’agit d’un avis légitime, qui est posé, même s’il n’a pas sa place ici, surtout dans une partie encore introductive au propos. C’est surtout quand il faut appuyer l’avis et le propos sur des bases scientifiques, sur des études reconnues, que les affaires se corsent.

1.2. Le début d’une tromperie sur les chiffres

C’est en page 28 que l’on découvre les prémices d’une tromperie qui ne cessera de ressortir des pages du rapport. Il s’agit là de chiffres pris de différentes sources, qui peuvent avoir un intérêt certain, avec un encadré donnant les caractéristiques du système éducatif français à partir de ces seules données. Ces caractéristiques sont négatives, seulement négatives...

Soulignons d’abord que, sur les rapports nombreux de l’OCDE, le nombre d’indicateurs est toujours suffisamment important pour que chaque pays dresse le même constat alarmant sur son propre système éducatif [1]. M. Fourgous nous dit ainsi que « seuls 45 % des jeunes Français se déclarent bien à l’École, contre 81 % de moyenne dans l’OCDE et à 15 ans, seuls 11 % des élèves disent aimer l’École. » Il ne donne pas de référence ; mais on peut lire dans un des rapports de l’OCDE, justement sur le bien-être des enfants, en page 58 [2], que 29,4 % des enfants n’aiment pas l’école dans les pays sondés, pour 21,4 % en France (19ème sur 25 en partant du plus fort pourcentage). Par ailleurs pourtant M. Fourgous nous expliquera qu’un élève sur 6 (16,5 %) « déteste » aller à l’école, en France (p. 79).

Comme quoi l’on peut lire différemment le monde selon les sources que l’on trouve, parmi les rapports de l’OCDE, ou que l’on invente. On lit, toujours en page 28, que « nos enfants sont ceux, qui, parmi les jeunes des pays de l’OCDE, ont le moins confiance en eux et le moins confiance en leur avenir. » Là aussi on peut avoir des doutes sur cette affirmation sans appel, sans source citée à l’appui. On appréciera ensuite la référence à l’Institut Montaigne, think tank et non pas laboratoire de recherche [3]. J’aimerais ensuite retrouver les statistiques citées dans le 5ème point, pour ce qu’elles valent, sur les élèves très performants, dans la référence citée sur PISA 2009 [4], mais sans doute mes compétences de lecture ne sont pas assez bonnes, ces chiffres paraissent absents du document... Je ne vais pas tout vérifier, mais une grande partie tout de même. L’esprit est bien là, et c’est la validité de l’ensemble du rapport qui est en cause.

Précisons à ce sujet que la comparaison inter-étatique est particulièrement absurde en la matière, qu’elle n’est ici qu’un outil de communication qui cache parfois les apports réels des enquêtes de l’OCDE, sur des considérations internes, tout comme il peut paraître absurde à certains égards d’afficher une volonté d’importer des concepts de l’étranger parce qu’ils paraissent intéressants et fonctionnels, sans aucunement mettre en place les mesures concrètes qui permettent le fonctionnement que l’on souhaite réellement développer, sans cerner, au-delà de cette exaltation, la part de la construction culturelle et historique des idées développées et mises en œuvre dans tel ou tel pays (le sujet du Learning Centre est flagrant à ce sujet).

On peut se demander aussi, sur les suspicions, quelles sont les rapports de l’auteur avec la langue anglaise pour donner son interprétation sur l’étude de Robert J. Marzano au sujet de l’efficacité des TNI, en effet relevée dans son étude, mais sans doute pas de manière aussi flagrante que le dit M. Fourgous [5] : le « percentile » devient facilement un pourcentage, et il n’est plus une moyenne sur une caractéristique, mais une valeur basse sur une étude d’ensemble qui n’est pas consultée dans le détail... (p. 33)

1.3. Les TIC à l’école : pour un équipement raisonné, le référentiel existe !

Je retiens seulement, de cette première partie du rapport, la nécessité d’une gouvernance nationale pour l’équipement informatique des établissements, pour un réel équilibre entre les établissements, pour ne pas que la décentralisation des finances découle sur des absurdités. Mais cette proposition est finalement noyée dans un nombre incohérent et inutile d’autres propositions peu fondées : l’intégration des jeux sérieux dans les apprentissages, la conception publique de logiciels pensés pour l’École... Cette tendance à multiplier les propositions se retrouve dans tout le rapport et forme un véritable défaut pour l’ensemble.

On peut observer que la gouvernance nationale existe déjà, par le biais d’un référentiel légitime, approuvé (2009 [6]), qui peut évoluer, mais qui n’est pas respecté par les collectivités locales dans leur politique, du fait de leur autonomie décisionnelle, et qui ne peut obtenir les faveurs de M. Fourgous – est-ce pour cela qu’il n’en parle jamais ?, comme elle ne pose pas le même avis que lui sur les besoins d’équipement (en particulier au sujet des TNI, mais pas seulement).

Notons que le référentiel de décembre 2009, qui est bien évidemment conçu pour évoluer, s’appuie sur un travail interacadémique, sur des bases particulièrement objectives, tandis que le rapport de M. Fourgous s’appuient sur des considérations essentiellement idéologiques, quand elles ne sont pas régulièrement accompagnées de propos dégradants à l’égard du corps enseignant qui, si l’on écoute MM. Fourgous et Taddéi, ne sait pas s’adapter, ne développe pas la créativité... Cela me rappelle, sur leur propos, ce que me disait mon maître de recherche en maîtrise lorsque j’étudiais le thème de l’éducation dans l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert et dans d’autres grands textes du XVIIIe siècle, à savoir que l’avis que donnent les penseurs et décideurs qui ne sont pas eux-mêmes praticiens de l’éducation, se base sur leur propre vécu d’élève plutôt que sur les réalités contemporaines qu’ils ne connaissent finalement que très peu, ou sur des stéréotypes (qui paraissent tenaces chez M. Taddéi, pour le moins dans la performance filmée que j’ai citée).

LIRE LA SUITE : 2. Les compétences numériques des élèves

Notes

[1Par exemple dans le rapport cité par M. Fourgous : OCDE. Résultats du PISA 2009 : synthèse. 2010. En ligne. Consulté le 22/07/2014. Disponible sur : http://www.oecd.org/pisa/46624382.pdf. Mais aussi OCDE. Comparative Child Well-being across the OECD. 2009. En ligne. Consulté le 12 mai 2012 http://www/oecd.org/dataoecd/19/4/43570328.pdf. Mais aussi OCDE. Regards sur l’éducation 2001 : les indicateurs de l’OCDE. 2011. En ligne. Consulté le 12 mai 2012 http://www.oecd.org/dataoecd/61/1/48631602.pdf.

[2OCDE. Comparative Child Well-being across the OECD. 2009. En ligne. Consulté le 12 mai 2012. http://www/oecd.org/dataoecd/19/4/43570328.pdf.

[4OCDE. Résultats du PISA 2009 : synthèse. 2010. En ligne. Consulté le 12 mai 2012
http://www.oecd.org/dataoecd/33/5/46624382.pdf.

[6Eduscol. Référentiels d’équipement école et collège – matériel et organisation des TICE. 2009. Consulté le 12 mai 2012 http://eduscol.education.fr/cid57393/referentiels-d-equipement-ecole-et-college-%96-materiel-et-organisation-des-tice.html

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