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Les professeurs documentalistes face à l’insulte institutionnelle

lundi 7 décembre 2020, par Florian Reynaud

C’est avec un grand dégoût que je me réveille ce matin du 7 décembre 2020, que j’entame une nouvelle journée de travail.

Ce n’est pas faute d’avoir déjà été bousculé dans mon intégrité professionnelle, après avoir vécu l’intimidation par un chef d’établissement, sans réaction de la hiérarchie, après avoir subi, à un niveau supérieur, une double exécution lamentable lors du passage d’une certification pour être formateur académique. Mais, et cette fois c’est dans un week-end que c’est arrivé, on a atteint l’insulte suprême, l’insulte officielle, institutionnelle, celle d’un gouvernement, d’un ministre.

Par le passé, il y eut ces tourments qui m’ont familiarisé avec ce sentiment de dégoût qu’on pouvait ressentir, dans le cadre professionnel, avec des individus et ce qu’ils représentaient, plutôt qu’avec un système. Il a fallu des nuits blanches pour apprivoiser ce dégoût, pour ne pas le laisser être empiété par la haine, sans être sûr d’avoir réussi cela. Mais on n’avait pas encore atteint à ce point mon intégrité professionnelle.

Tout part d’un rien, d’une aumône symbolique du Ministère, une prime informatique. Et le décret tombe, après des jours d’incertitude. « Une prime d’équipement informatique est attribuée aux psychologues de l’éducation nationale stagiaires et titulaires et aux enseignants stagiaires et titulaires relevant du ministère chargé de l’éducation nationale, qui exercent des missions d’enseignement, à l’exception des professeurs de la discipline de documentation. » [1] Je suis professeur de la discipline de documentation. Quoique. Je ne sais même pas ce que je suis. Déjà quand, début novembre, une journaliste du Monde niait mon existence professionnelle, dans un article sur l’éducation aux médias, il y avait une atteinte à mon intégrité professionnelle. Mais j’ai pu alors me dire que ce n’était qu’une journaliste, au mieux incompétente, au pire mal intentionnée. Par contre, quand mon Ministre de tutelle estime que je ne suis pas un enseignant à part entière, que penser ? Quand devant des sénateurs il annonce, contre l’idée de me donner cette prime, qu’elle est réservée « aux professeurs qui sont devant des élèves » [2], que penser ?

Certes, je n’attendais rien de M. Jean-Michel Blanquer, je n’en attends rien. J’ai commencé le métier quand il était à la DGESCO, presque Ministre alors, en 2009, et j’ai vu ce dont il était capable. Je ne partage pas de valeurs politiques avec lui, je ne suis pas libéral en matière économique, je ne suis pas réactionnaire. Je ne pense pas, en éducation, que les fonctions sont interchangeables, ni que la nécessité des fondamentaux empêche l’innovation pédagogique. Je sais aussi, c’est malheureux, que la gauche a le monopole du progrès en matière de transmission aux enfants d’une culture de l’information et des médias. Je sais que ces avancées sont laborieuses, difficiles, j’en ai fait l’expérience, au front, avec la Ministre précédente, Mme Najat Vallaud-Belkacem, qui a fait beaucoup même si ce n’est toujours pas assez quand on est sur le terrain. Je sais que la bureaucratie ministérielle est poussive et que la toute puissance d’un Ministre peut tout geler.

Ce matin, l’insulte républicaine se résume en trois mots : le mépris, la discrimination, l’inconséquence. Le mépris, je veux croire qu’il se fait par absence de connaissance de ma profession, sans inspection générale spécifique pour me défendre. La discrimination, elle n’est pas nouvelle, elle existe déjà dans plusieurs inégalités, avec un statut dérogatoire problématique pour les professeurs documentalistes, l’absence d’agrégation, la non reconnaissance du statut de mes heures d’enseignement, la minoration de mes heures supplémentaires, l’absence d’indemnité égale à celle de mes collègues enseignants, l’impossibilité d’être reconnu comme professeur principal, et j’en oublie sans doute, et j’ai souvent envie d’oublier, surtout quand j’ai si mal dormi. L’inconséquence, c’est en l’espèce à la fois l’absurdité et l’imprudence.

Maintenant, comme 11 000 professeurs documentalistes, et je n’ai jamais vu autant de consensus à dénoncer cet acte ministériel, je me pose la question : que faire devant cette insulte ? L’association professionnelle, dans laquelle je suis actif, a fait du mieux pour éviter ce verdict [3]. Les syndicats ont également œuvré à éviter cette inégalité de plus, cette inégalité de trop.

Je suivrai une grève spécifique, bien entendu. Je vais continuer de soutenir une pétition qui compte déjà plus 10 000 signatures [4]. Je vais continuer malgré tout de communiquer sur mon métier, auprès du grand public, auprès des journalistes. Je vais continuer de réfléchir et de publier. Je vais communiquer auprès des inspectrices académiques responsables du dossier Documentation. Je vais remplir une fiche du Registre Santé et Sécurité au Travail, devant cette atteinte. Je vais travailler avec l’APDEN pour continuer ce travail ingrat mais nécessaire. La question d’un recours au Tribunal Administratif se pose, bien sûr, ou auprès d’une autre instance qui puisse lire cette discrimination et la dénoncer, encore faut-il que ce recours puisse être le fait d’une organisation syndicale ou de l’association professionnelle. Je vais surtout attendre patiemment des jours politiques meilleurs parce que, soit dit en passant, là je n’ai pas beaucoup d’espoirs, j’ai surtout du dégoût dans la bouche.

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