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Mâcon : un journal au service de la mairie ?

mercredi 6 janvier 2021, par Florian Reynaud

Le 2 janvier 2021, M. Laurent Bollet, responsable de l’édition mâconnaise du Journal de Saône-et-Loire, donnait son « opinion ». Celle-ci consistait à attaquer les élus qui, dans l’opposition, sont en désaccord avec les idées politiques du Maire de Mâcon, M. Jean-Patrick Courtois. Mélangeant média et mouvement politique, mêlant journalisme et militantisme, M. Laurent Bollet s’est permis de jouer un jeu dangereux pour la démocratie locale. Alors que la confiance dans les médias est faible dans notre pays, il conforte la défiance en avouant, en tant que responsable d’un journal local, son soutien au Maire. Cela peut nous rappeler la dynamique des « publireportages », dans ce même journal, en faveur du bilan de M. Courtois peu de temps avant les dernières élections municipales.

Est-ce légal ? Oui. M. Laurent Bollet peut tout à faire mettre en valeur un candidat ou un élu. Toutefois, le journalisme ne devrait-il pas être tenu à une certaine neutralité, étayé d’arguments objectifs et chiffrés ? Ne serait-ce d’ailleurs pas, plus particulièrement, le devoir d’un journal qui détient le monopole de l’information imprimée quotidienne locale ? Comment peut-il argumenter sur la qualité de notre démocratie, dans son texte [1], tout en remettant en question la forme même du débat public, tout en s’investissant essentiellement à communiquer en faveur d’un courant politique ?

Sur le fond, il reproche aux oppositions d’avoir « surfé sur la vague » des épisodes de violences urbaines du mois de novembre. Ainsi pour lui sans doute les élus n’auraient-ils pas dû réagir ? Est-ce son idée de la démocratie ?

Il s’attache, à travers plusieurs domaines, à démontrer que Mâcon n’est pas plus en difficulté que des villes de taille équivalente. Pour cela, son opinion est accompagnée d’encarts thématiques sur le marché de l’immobilier, l’emploi, le taux de chômage, la démographie et les violences urbaines. Ces thématiques choisies pour illustrer son propos sont déjà discutables. L’accès aux soins, le nombre et la qualité des infrastructures publiques, l’offre culturelle seraient tout autant si ce n’est davantage des domaines à évaluer. Ces dernières décennies ont montré que les données économiques n’étaient pas les seules à prendre en compte pour établir un tel diagnostic.

Mais soit, restons-en pour l’heure à ces domaines.

Non, l’opposition n’a pas surfé sur la vague des violences urbaines de l’automne. Les candidats, puis les élus, n’ont eu de cesse d’émettre des doutes sur les choix de la municipalité en matière d’ordre public : au lieu d’investir dans la vidéosurveillance, qui semble être la seule solution proposée par M. le Maire, avec toute l’inefficacité avérée de ce dispositif, il est souhaité que cet argent soit plutôt investi dans le recrutement de personnels et policiers municipaux.

En matière économique, M. Laurent Bollet se félicite du nombre d’actifs. Il serait honnête de se féliciter davantage que Mâcon soit toujours une ville préfecture lui permettant de compter un nombre de fonctionnaires indispensables à maintenir la vie économique de la ville. Imaginez vous plutôt Mâcon sans ce statut et sans ces fonctionnaires. Or cette situation n’est en aucun cas due aux politiques de M. Courtois. De plus, le nombre de créations d’entreprises censé également démontrer le dynamisme de notre territoire, est, une fois expliqué, bien au contraire en défaveur de Mâcon. Si l’on enlève le nombre de micro-entreprises déclarées, qui a explosé dans toute la France, le nombre de sociétés nouvelles sur Mâcon est en diminution. Par ailleurs le taux de vacance commerciale, avant la crise du Covid-19, était de près de 20 %, bien au-dessus de la moyenne de 11 % pour les villes de même taille.

M. Laurent Bollet défend la politique de la ville en arguant que les difficultés existent dans toutes les villes de la taille de Mâcon ? Pourtant faut-il se contenter d’une situation analogue à d’autres villes pour ne pas préciser ce qui ne va pas et ce qu’il faut améliorer ? D’autant que non, Mâcon ne s’en sort pas avec les honneurs. Le taux pour le bassin d’emploi est faible, lit-on souvent, comme dans cette édition du Journal de Saône-et-Loire, encore faut-il souligner, détail d’importance, que ce bassin d’emploi couvre une zone qui va jusqu’à Matour, Saint-Gengoux-le-National et Tournus, comprenant Cluny, et qu’on ne peut faire relever ce taux faible de la politique de la ville de Mâcon, loin de là. Il reste alors un taux de chômage à Mâcon de 19,2 %, un taux de pauvreté de 23 %, qui ne font pas honneur à la ville. Les villes proches permettent de faire baisser ces deux taux à 12 et 13 %, pour l’arrondissement, sans que la ville puisse véritablement se dédouaner sur ses voisines.

M. Laurent Bollet semble agir plus en tant que militant que journaliste ou responsable de média. Il dénie le fait que l’opposition fasse des critiques constructives. Pourquoi donc tant de mépris à l’égard de ces idées, quand bien même elles ne sont pas les siennes ? Elles existent pourtant, inscrites dans des programmes, dans des communiqués, dans des questions posées en Conseils municipaux et d’agglomération. Dans ces avis de l’opposition, on lit le doute vis-à-vis de la vidéosurveillance, on demande des personnels dans les quartiers sensibles, une dynamique associative qui ne soit pas que focalisée autour du sport, en attendant sans doute une réflexion plus large sur l’habitat à Mâcon. Plutôt que chercher à atteindre 40 000 habitants dans la ville, idée dont la pertinence doit être discutée, idée énoncée sans arrêt depuis 20 ans par M. Courtois, on est en droit d’exiger un environnement urbain de qualité, sans continuer de subir des quartiers trop vite et trop mal conçus il y a plus de 50 ans, sur lesquels on bricole sans rien résoudre des problèmes endémiques de notre cité. Un autre indicateur serait le niveau de bien-vivre à Mâcon, avec des enquêtes qui peuvent questionner la politique des 20 dernières années, encore faut-il donc se préoccuper de la vie collective dans la ville, de la dynamique culturelle, associative, en poussant à bras le corps cette dynamique, notamment pour que Mâcon soit une ville agréable à quelque âge que ce soit.

M. Laurent Bollet pose pour finir une question qui lui semble essentielle : « Faudrait-il penser que les Mâconnais soient assez masochistes pour réélire le maire responsable d’une ville en déclin ? ». La question pourrait en effet sembler juste, si on laissait croire que « tous » les Mâconnais ont voté pour M. Jean-Patrick Courtois. Mais de qui parle-t-on au juste ? 3 580 citoyens, soit 18 % des inscrits sur les listes électorales. Loin de moi donc l’idée, comme M. Bollet, de jouer un jeu dangereux avec la démocratie locale, de remettre en question de mon côté la sincérité du vote, mais bien plutôt de questionner le pouvoir municipal et le pouvoir médiatique, quand ils s’associent ainsi. Il y a sans doute mieux à faire pour ramener les citoyens et les habitants à la gestion politique de leur ville, pour un journal, que d’apparaître comme un deuxième service de communication de la mairie.

Ayons plutôt le courage, dans ces circonstances, de saluer le travail des élus conseillers municipaux bénévoles qui représentent d’autres courants politiques que celui de M. Courtois, d’autres idées, et qui s’évertuent à travailler pour la ville de Mâcon et pour ses habitants.

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