Sous l’égide de l’UNESCO, et dans le cadre de l’agenda mondial Éducation 2030, deux référentiels de compétences en IA ont été publiés en français au début de l’année 2025. L’un concerne les enseignants [1], l’autre les « apprenants » (autrement dits les élèves et étudiants) [2]. L’organisme considère que l’intelligence artificielle a pris une telle place dans nos sociétés que ce travail de réflexion est nécessaire, d’autant plus que l’IA peut avoir des incidences dans le domaine de l’éducation. En parallèle, les enseignants observent un développement de l’utilisation de l’IA par les élèves, qui a pris de la place dans leurs démarches de recherche d’information, au même titre en leur temps que les moteurs de recherche ou l’encyclopédie collaborative Wikipédia.
S’il en était besoin, et surtout parce qu’elle assoit des chiffres, une enquête d’ampleur, significative, proposée par le CRAP-Cahiers pédagogiques, dont l’analyse a été publiée en mars 2025, engage à mieux considérer l’IA générative pour l’enseigner, au-delà d’usages basiques, et pour former à l’esprit critique [3].
Le travail de l’UNESCO, somme toute théorique même s’il a une visée pratique, ainsi que cette enquête, contribuent à et favorisent la réflexion pédagogique sur l’IA. Si la didactique en la matière est encore en gestation, elle fait appel à d’autres notions pour lesquelles nous avons déjà des travaux didactiques intéressants, ainsi de premières approches pédagogiques peuvent émerger concernant l’IA générative. Sans aller dans le détail dans chaque approche disciplinaire, qu’on peut tout de même évoquer, il est possible d’oser quelques propositions précises dans le champ spécifique de l’information-documentation, en particulier en prenant appui sur les travaux préexistants, à savoir notamment le curriculum en information-documentation [4] et son éventuelle évolution [5].
Une vision techniciste de l’enseignement par l’UNESCO
Le référentiel de compétences de l’UNESCO pour les enseignants prend la forme d’un plan de formation ambitieux. Il ne concerne pas les enseignants chargés d’enseigner l’IA, mais tous les enseignants. Toutefois, à regarder le document de près, on peut comprendre que le niveau dit « intermédiaire » peut s’appliquer à des enseignants spécialisés (mais sans approche didactique sur l’IA), et que le niveau « avancé » concerne plutôt des enseignants formateurs de leurs pairs. Notons, avant de regarder simplement la structure et de résumer quelques attentes de l’UNESCO pour ces enseignants, que l’organisme considère que tout enseignant doit disposer d’une formation initiale au sujet de l’IA. Pourtant, si l’IA prend effectivement de la place dans la société et dans l’éducation, une telle demande n’est peut-être pas totalement justifiée, au-delà de notions simples et de réflexions par disciplines telles qu’elles sont en train d’être diffusées. Que ce soit dans la formation initiale ou dans la formation continue, les attentes de l’UNESCO font l’impasse sur l’arbitrage professionnel de chaque enseignant, et le document paraît teinté d’une acceptation libérale déterministe qu’il convient au moins de signaler avant d’aller plus loin.
Ceci dit, l’absence de recul sur le sujet fait aussi l’intérêt du document, en allant au bout de l’ambition, quand bien même elle assoit le règne à venir de l’IA, ou suppose que les enjeux économiques de son développement sont tels qu’il faut la soutenir et la développer. Le référentiel promeut le développement de l’IA pour l’éducation, à travers les compétences professionnelles attendues pour les enseignants.
Il n’est pas question, ainsi, que les enseignant n’utilisent pas l’IA. Il est plutôt question qu’ils l’utilisent correctement, avec des valeurs et une maîtrise humaine (champ 1 du référentiel), avec des principes éthiques (champ 2), avec des connaissances sur le fonctionnement de l’IA pour mieux la maîtriser (champ 3), avec des compétences pour intégrer l’IA dans l’enseignement, en tant qu’outil de conception et d’évaluation (champ 4), avec des compétences pour se former avec l’IA (champ 5). Si le développement d’un esprit critique à l’égard de l’IA est primordial dans le référentiel, l’insistance pour la pratique de l’IA dans le cadre professionnel l’est tout autant. L’UNESCO ne fait pas que répondre à l’urgence d’intégrer une réflexion sur l’IA dans l’éducation, par des connaissances sur le sujet, elle contribue aussi au développement de l’IA en souhaitant une formation initiale majeure dans ce domaine. À la question de savoir si l’on peut faire de l’enseignement sans IA, l’UNESCO répond non…
Une approche sociétale pour l’élève
Concernant les élèves, l’approche est différente, les enjeux sont différents. Si l’organisme considère que c’est bien aussi l’importance que prend l’IA, qui suppose un tel référentiel, l’entrée se fait davantage par connaissances ou compétences déclaratives, que par compétences procédurales. Toutefois, celles-ci sont aussi visées par le référentiel, dans le sens d’une adaptation du monde éducatif au développement de l’IA dans le monde professionnel. Ainsi estime-t-on que les élèves doivent développer des connaissances et un esprit critique à l’égard de l’IA, mais aussi qu’ils maîtrisent une certaine pratique de l’IA pour leur avenir dans une société gagnée par cette nouvelle technologie. Alors que les enseignants doivent tous maîtriser l’IA, finalement ce sont les voies choisies ou subies par les élèves qui détermineront leur besoin de formation relatif à l’IA. On considère aussi que l’IA va prendre une place croissante dans la société, dans la vie quotidienne, si bien que cela justifie une formation de tous.
Toutefois les auteurs insistent sur l’importance de l’agentivité, néologisme qui désigne la capacité humaine d’agir, de ne pas subir la machine, en quelque sorte, de garder le contrôle. Plus loin encore, c’est l’idée de faire attention à ce que l’IA ne vienne pas réduire les compétences intellectuelles des individus. On peut avoir l’impression que le référentiel, sans le dire explicitement, touche à toutes les contradictions associées au développement sociétal de l’IA : tous doivent apprendre à l’utiliser, partout, mais cela peut contribuer à réduire les compétences, à détruire l’environnement. Si les contradictions ne sont pas explicitées, c’est qu’elles apparaissent séparément, en couches successives d’éléments, sans confrontations. Le risque éventuel est que les systèmes d’éducation s’emparent davantage d’une formation à l’utilisation plutôt que du développement d’un esprit critique, comme c’est le cas dans d’autres domaines associés aux données, à l’information, avec une mise en application plutôt qu’une réflexion, sans enseignement spécialisé ou spécifique mais avec une transversalité forcément limitative. En effet, la transversalité peut favoriser une application partout, selon le domaine, quand un enseignement spécifique « oblige » à envisager tous les aspects de l’objet.
Le référentiel comprend quatre champs, les trois premiers communs avec ceux des enseignants, ainsi avec un regard critique sur l’IA (1), avec des compétences sociales et éthiques dans l’utilisation et le développement de l’IA (2), et des connaissances sur l’IA, son fonctionnalité, ses pratiques (3). Le 4e aspect, pour les élèves et étudiants, relève de la conception de systèmes d’IA.
La progression se fait selon trois approches bien distinctes, le développement de connaissances d’abord, puis le développement de compétences procédurales (justifiées par l’importance de l’IA dans tous les secteurs). C’est là que s’arrête l’obligation de l’école selon l’organisme, avant une troisième étape relevant davantage de la co-création de l’IA. L’idée de distinguer dans la progression compétences déclaratives et savoir-être d’un côté, compétences procédurales d’un autre côté, pose question, tant elle peut soutenir une déconnexion entre les deux aspects (au profit du dernier envisagé), avec en outre une difficulté d’abstraction pour les élèves dans les débuts des apprentissages. Cette approche de l’UNESCO va à l’encontre des approches pédagogiques de l’apprendre en manipulant. Cela pose problème aussi au sens où les élèves sont amenés à pratiquer l’IA de leur côté, sans égalité et sans accompagnement autre que par des apports théoriques relativement complexes.
On retrouve cet aspect déconnecté, dans tous les sens du terme, dans le détail des compétences. Sans indiquer l’âge, sans réflexion aboutie dans le référentiel sur les prérequis, sur les capacités cognitives pour ces approches, mais toutefois en proposant des méthodes pédagogiques, le document paraît presque inutilisable. Sauf à ce que… les méthodes pédagogiques proposées au premier niveau relèvent du lycée. Ce qui pose problème sur les enjeux de l’IA pour des élèves plus jeunes, à partir de la Sixième, comme ces élèves sont d’ores et déjà concernés par l’IA. Le référentiel est tellement ambitieux qu’il y manque la simplicité d’une progression pédagogique. Il est tellement abstrait dans ses entrées qu’on ne parvient pas à bien comprendre l’articulation des pistes concrètes, pratiques, parfois proposées.
Mais on suppose tout de même des compétences préalables, « telles que les compétences de base en littératie et en numératie en programmation et en technologie numérique, l’éducation aux médias et à l’information, ainsi que les compétences relatives à la pensée critique et créative, au travail en équipe et à la communication, les compétences socioémotionnelles et les compétences en matière d’éthique de l’IA ». C’est vaste et c’est vague.
En outre, entre les lignes, comme dans le référentiel enseignants, le référentiel élèves, malgré toutes les précautions devant les limites de l’IA, valorise les usages de l’IA, ce qui n’est pas nécessairement évident dans une approche alternative de la pédagogie de l’IA.
Les faiblesses, sans doute subjectives, de ce travail, poussent à trouver d’autres voies, en ciblant des prérequis, des enjeux, des objets, afin de répondre pédagogiquement, de manière progressive, à cette question de l’IA, peut-être en s’appuyant sur le foisonnement d’idées du référentiel (sans doute est-ce son seul intérêt, faire le tour du sujet, ou presque). La voie interdisciplinaire, mise en valeur dans le document, est un moyen de passer d’un conglomérat d’items à une structure scolaire réfléchie. Dans l’environnement français, suivons notamment les mathématiques, la technologie, l’EMC, et surtout l’information-documentation pour laquelle il est prévu d’aller un peu plus dans le détail dans cet article.
La pratique des élèves : pragmatisme et adhésion à l’évolution technologique
L’enquête du CRAP permet d’asseoir des observations informelles qui ont pu être effectuées depuis les premiers pas de ChatGPT. Ainsi, on note que l’IA n’est pas avant tout un outil utilisé par les élèves pour faire leurs devoirs, voire pour tricher. Il s’agit d’un outil auquel ils sont sensibles, de par sa nouveauté, de par une volonté d’essayer, avec en particulier une appétence pour la génération d’images. L’idée d’essayer, d’ailleurs, elle a pu expliquer une importante utilisation au tout début de ChatGPT, suivi par une diminution, avec ensuite une recrudescence associée à de nouveaux progrès dans la génération de textes et surtout d’images (voire à une médiatisation accrue du sujet de l’IA). L’IA pour le travail scolaire, ce peut être très ponctuel, et cela ne remet pas toujours en question le volontarisme scolaire de l’élève : quoi de plus naturel que d’utiliser un outil accessible pour obtenir les informations demandées (notamment quand il s’agit bien de faire une recherche d’information, en délaissant alors les « classiques » moteurs de recherche, de faire de la traduction, avec des outils plus efficaces que Google Translate, etc.).
Par ailleurs, les enfants considèrent, en voyant l’évolution de l’IA dans la société, en particulier dans le monde du travail, parfois dans leur entourage proche, chez les parents, chez les frères et sœurs, que l’IA va avoir un rôle important à l’avenir. Cela peut encourager à son utilisation. En quoi, en effet, s’interdiraient-ils un outil que partout on utilise, et qu’ils seront peut-être amenés plus tard à utiliser, sans en avoir véritablement le choix ? Mais il ne faut pas davantage laisser de côté l’importance du scepticisme, voire du rejet pur et simple.
Ce type d’enquêtes est un premier pas nécessaire pour comprendre les pratiques des élèves et démystifier le décalage entre leurs usages et les connaissances faibles sur l’IA des enseignants, à minorer le danger de l’IA pour les apprentissages (sans le nier). Les auteurs mettent en évidence, malgré tout ce qu’on peut reprocher à l’IA, la nécessité de la connaître comme un enjeu de société, comme un enjeu en matière d’instruction, au niveau des enseignants. Ce qu’on a trop peu fait pour les moteurs de recherche et pour l’encyclopédie Wikipédia, pour les outils de traduction en ligne et pour les réseaux sociaux, il est temps déjà de l’envisager pour l’IA générative, à savoir de la faire connaître comme tous les autres objets cités, comme objet d’enseignement, aux enseignants de toutes les disciplines, éventuellement en regard avec leur discipline.
L’IA, une notion pour plusieurs objets d’enseignement, un objet pour plusieurs notions
Les expérimentations sont importantes et en cours, pour asseoir un programme, une progression, mais les bases théoriques permettent aussi de définir les premiers principes de ce programme, de cette progression, avec une nécessité ensuite à les faire évoluer.
Une première liste peut être développée, comprenant différentes notions et différents objets :
- Les outils (diversité, types de production, évolutions)
- Les enjeux environnementaux (avec pour prérequis les enjeux environnementaux du web)
- Les enjeux sociaux de la conception (avec pour prérequis la question, qui ne concerne pas que le web, des « pays pauvres » au service des entreprises et/ou des « pays riches »)
- Les enjeux de société (avec les questions du remplacement de l’Homme par la machine dans l’histoire, des « remplacements » induits par l’IA)
- Le fonctionnement technique de l’IA (la récupération des données, la gestion des données, la programmation des algorithmes)
- L’IA et l’image (fonctionnement, problématique, certifications de photographies « vraies »)
- Le droit de l’information et l’IA (alimentation des bases, réutilisation des données par l’IA, réutilisation des productions par les usagers, données partagées par les utilisateurs de manière volontaire ou non, question des techniques de consentement induit pour la capture de données, mention de l’IA comme référence, droit et éthique, cadre juridique pour les entreprises et individus qui conçoivent de l’IA)
- La vidéosurveillance algorithmique (pour laquelle l’UNESCO a un avis tranché : « Les apprenants démontrent qu’ils comprennent que les systèmes d’IA ne devraient pas être utilisés à des fins potentiellement néfastes pour les humains (la reconnaissance faciale à des fins de surveillance ou d’attribution d’un statut social, par exemple, ou les algorithmes prédictifs pour la notation des examens », p. 23)
- La recherche d’information avec l’IA (et son intégration dans certains moteurs de recherche)
Une IA aux multiples facettes : vers une pluridisciplinarité
Il est important, a priori, que les enseignants eux-mêmes s’emparent du sujet, quand le Ministère, dans l’urgence, souhaite d’abord s’appuyer sur les parcours PIX pour mettre en avant cette notion et ce qui la concerne, auprès des élèves. PIX n’est pas une plateforme d’apprentissages, mais d’évaluation, et c’est aussi, au passage, un outil de dépossession des enjeux didactiques et pédagogiques vis-à-vis des enseignants. Les enseignants des domaines concernés par l’IA doivent plutôt donc plutôt être formés, tous, rapidement, afin d’être en mesure d’intégrer cette notion dans leur enseignement, dans leurs apprentissages.
L’intelligence artificielle a des résonances en collège dans les programmes actuels de Mathématiques (en relation avec l’algorithmie), en Technologie (en relation avec l’évolution des techniques). Des approches peuvent être envisagées aussi en Français, à travers le récit de science-fiction, à travers la réflexion philosophique sur le rapport de l’Homme à la machine. Les liens sont plus distendus avec la géographie et l’enseignement moral et civique, l’IA apparaît alors comme un des thèmes abordables pour illustrer les relations Nord/Sud ou encore pour parler d’éthique et de droit. En lycée les liens précédents se retrouvent, avec des exigences nouvelles, et les SNT, Sciences numériques et technologie, si elles sont mises en œuvre intelligemment, peuvent être un creuset pour développer plusieurs facettes de l’IA, en interdisciplinarité (en particulier par l’intervention pédagogique possible des professeurs documentalistes en information-documentation).
C’est dans ce domaine, l’information-documentation, qu’il s’agit ici d’insister, domaine quelque peu délaissé par l’institution quand bien même tout élève doit être formé dans ce champ disciplinaire qui semble être le seul sans programme officiel (au-delà d’une contribution peu claire et peu évolutive, voire dissolue, à l’EMI).
En quoi et comment l’information-documentation, via les professeurs documentalistes, peut répondre pédagogiquement aux enjeux énoncés sur l’IA ? Voici quelques pistes, sous forme de pistes de progression et en adéquation avec d’autres disciplines.
- L’IA générative étant entre autres un outil de recherche d’information, au même titre que les moteurs de recherche, il apparaît nécessaire de l’intégrer comme tel dans la progression pédagogique sur la notion de recherche d’information, au collège. Au regard des changements dans l’accès au numérique par les enfants/élèves, avec moins de pratique de l’ordinateur de bureau, moins de compétences bureautiques en Sixième par exemple, aborder tous les outils sur le même plan peut s’avérer problématique, si bien que, plutôt que d’envisager une recherche en utilisant divers outils, il peut être préférable de prioriser les outils et de les étudier, avec des mises en pratique, d’abord les moteurs de recherche, ensuite l’IA générative. Étudier d’abord les moteurs de recherche permet d’ancrer la recherche dans l’environnement informationnel du web, dans l’approche sur le support numérique (après avoir étudié, notamment en primaire, le support imprimé). L’IA vient ensuite proposer une nouvelle dimension, avec toujours certaines notions en résonance avec celles étudiées au sujet du moteur de recherche (source/référence, requête qui devient prompt, pertinence, fiabilité…). L’approche de l’IA comme outil de recherche peut passer par la comparaison entre différentes IA, sur la forme comme sur le fonds. [MAJ :] Il convient aussi de surveiller la question de l’intégration d’IA dans les moteurs de recherche existants (d’abord sous forme d’options, à terme sous forme de résultats au même titre que des liens vers des pages web).
- L’IA générative écrase les étapes de recherche et de production, comme l’IA effectue à la fois le travail de recherche et de synthèse, quand les moteurs de recherche ne sont qu’un intermédiaire vers l’information, et obligent ensuite à son traitement. C’est en ce sens qu’il peut être préférable d’étudier d’abord le moteur de recherche, et de plus nombreuses étapes dans la méthodologie de recherche et de production, puis ensuite l’IA générative. Cet écrasement doit être questionné, dès le collège, même si le principe d’effort intellectuel à la synthèse peut être difficilement compréhensible pour les élèves, qui peuvent se demander pourquoi utiliser un outil moins efficace et moins complet, a priori, ainsi le moteur de recherche, plutôt que l’IA. C’est là que comprendre le fonctionnement de l’IA peut être intéressant : faire faire un résumé d’une œuvre intégralement présente dans la base de données de l’IA (l’IA produisant elle-même le résumé sans sources extérieures ou presque), ou celui d’une œuvre trop récente pour être stockée dans la base de données (avec alors une synthèse de critiques de presse et de résumés d’éditeurs), demander un propos sur un village ou une ville (avec souvent des sources officielles, politiques et touristiques, qui amènent à des réponses très subjectives, très positives), etc. On peut aussi travailler au dialogue avec l’IA, à l’art du prompt, en interrogeant l’IA sur la véracité de ses réponses, en mettant en avant la nécessité de connaître le sujet par ailleurs, l’IA n’étant pas exclusive d’autres recherches.
- Dans le processus de découverte du Web au collège, il peut être bon d’expliciter aux élèves les concepts de stockage des données, d’hébergement des données, ce qui peut être envisagé par exemple en 5ème. Si la question de l’IA peut être développée dès la 6ème, sa complexité peut amener à attendre le niveau de 5ème, pour l’aborder après le moteur de recherche. Alors, après avoir montré le fonctionnement technique du web, de manière simple (différence entre page web affichée et page web codée, lieux et objets de stockage des fichiers constituant les pages), le principe de stockage et de calcul relatif à l’IA peut être abordé, en abordant notamment les enjeux environnementaux, écologiques, d’une telle évolution (en lien avec l’actualité relative aux besoins en terres rares pour développer des outils numériques, à la croissance des besoins en électricité pour fournir les machines nécessaires au fonctionnement de l’IA). On peut évoquer pour le web, mais aussi pour l’IA, l’existence de fermes à clics, de zones d’extraction de terres rares au service des pays occidentaux, dans le sens d’un esprit critique averti, éclairé, à l’égard des nouvelles technologies. Ces enjeux environnementaux et sociétaux peuvent être abordés chaque année de manière plus approfondie (et en adéquation avec les évolutions constatées).
- Le rapport de l’Homme à la machine peut être envisagé dès le collège, par exemple en relation avec le Français, pour comprendre l’évolution des technologies, leur caractère positif, leur caractère négatif. Si certains aspects peuvent être abordés plus logiquement en Technologie (par exemple quand il s’agit pour l’IA d’organiser un système de production industrielle), en SVT (quand l’IA seconde les médecins pour analyser des radios), la question de la production d’information est cruciale. Sans encore aborder le sujet du droit, plusieurs questions peuvent être abordées, dès la Quatrième par exemple : la génération automatique accrue de sites web (par exemple lors de recherches via un moteur de recherche de tutoriels de bricolage, de réparation…), l’augmentation du nombre de profils « artificiels » sur les réseaux sociaux, l’usage de l’IA par certains médias pour produire du contenu d’actualité, le recours à l’IA pour générer des œuvres graphiques, plutôt que de passer par des œuvres originales et/ou par des professionnels humains… [MAJ :] L’IA peut aussi être utilisée pour générer de l’information originale, pour alimenter des bases de données, de manière autonome, avec aussi des individus virtuels autonomes.
- La notion d’intelligence artificielle paraît indissociable de la notion de droit de l’information, de propriété intellectuelle. Sans doute faut-il pour aborder ce sujet, là encore, des prérequis, des connaissances relatives au droit de l’information : droit d’auteur, citation, plagiat, réutilisation privée ou publique de texte, d’images… Comme le droit relatif à l’IA générative n’est pas encore bien écrit, posant beaucoup de questionnements, avec de fortes critiques de nombreux éditeurs et auteurs, quand d’autres, moins nombreux, acceptent la collaboration avec les entreprises de l’IA, des connaissances préalables en droit peuvent être posées dès la Quatrième sur le web en général, avant d’aborder la question spécifique de l’IA. A ce niveau, en Quatrième comme en Troisième, les liens entre le droit et l’éthique, la morale, la déontologie, sont des réflexions complexes, mais envisageables si les notions précédentes ont été suffisamment développées. Il est alors possible de réfléchir à la propriété intellectuelle, à ce qu’est une synthèse originale à la différence d’un plagiat, en quoi il faut être en capacité de faire soi-même la différence. C’est sur la génération d’images, sans doute, que le sujet est le plus facile à traiter, en demandant par exemple la génération d’images proches d’œuvres existantes et protégées (avec « le roi lion de disney » ou tout autre prompt avec un nom d’œuvre et son artiste, l’image générée pouvant être tellement proche d’une œuvre protégée que l’éthique est questionnée quant à la réutilisation de l’image générée, ce quand bien même les Conditions générales d’utilisation ou CGU de l’IA précisent que la réutilisation est autorisée…).
- La question précédente permet de revenir sur la question de l’alimentation sauvage des bases de données de l’IA. De quel droit, ainsi, l’IA pioche-t-elle partout ce qu’elle veut sans autorisation ? Que penser de réseaux sociaux qui développent leur propre IA et qui indiquent aux utilisateurs, sauf leur refus explicite dans un temps donné, que leurs informations et productions publiées seront intégrées dans la base de l’IA sans qu’on sache réellement l’usage qui pourra en être fait ?
–
Très tôt l’individu se retrouve confronté à des problématiques complexes, dans sa vie, du fait d’usages nouveaux desservis sans filtres, sans accompagnement. Cela concerne aussi bien les enfants que les adultes, ceux-ci loin d’être des modèles et donneurs de leçon dans leur usage des réseaux sociaux, des moteurs de recherche, ou de l’IA. Pour les enfants, la difficulté est actuellement de voir quand et comment, selon quelles difficultés, aborder cette notion et tout ce qui peut lui être associé. La diminution globale des formations continues, associée à l’absence d’heures consacrées aux apprentissages info-documentaires, cela fait longtemps que les moyens ne sont pas suffisants pour expérimenter correctement sur ces sujets et avancer sereinement vers des programmations pédagogiques viables en la matière.
Cet article, en relation avec l’esquisse d’un nouveau curriculum en information-documentation et la publication de plusieurs séquences testées et corrigées [6], est ici un premier élan de réflexion globale sur le sujet de l’IA générative à l’école, en matière pédagogique, qui s’ajoute à pléthore de publications sur ce thème, en ligne. Espérons que cette réflexion, humblement, participe d’une prise de conscience institutionnelle pour envisager une réponse aux nombreux enjeux nouveaux posés en si peu de temps, notamment pour les domaines de l’information-documentation et de l’éducation aux médias et à l’information.
[1] Référentiel de compétences en IA pour les enseignants, disponible sur https://www.unesco.org/fr/articles/referentiel-de-competences-en-ia-pour-les-enseignants
[2] Référentiel de compétences en IA pour les apprenants, disponible sur https://www.unesco.org/fr/articles/referentiel-de-competences-en-ia-pour-les-apprenants
[3] Tresgots Antoine. Les élèves face à l’IA : entre séduction et inquiétudes. In Cahiers pédagogiques [en ligne], 2025. Disponible sur : https://www.cahiers-pedagogiques.com/les-eleves-face-a-lia-entre-seduction-et-inquietudes/ & Tresgots Antoine. Zakhartchouk Jean-Michel. Intelligence artificielle : trois défis pour l’école. In Cahiers pédagogiques [en ligne], 2025. Disponible sur : https://www.cahiers-pedagogiques.com/intelligence-artificielle-trois-defis-pour-lecole/
[4] A.P.D.E.N. Vers un curriculum en information-documentation. In A.P.D.E.N. [en ligne], 2014-2015. Disponible sur : https://www.apden.org/Vers-un-curriculum-en-information-346.html
[5] Reynaud Florian. Vers un nouveau curriculum en information-documentation. In Prof’ Doc’ [en ligne], 2025. Disponible sur : https://profdoc.iddocs.fr/spip.php?article98
[6] Voir note précédente, et voir 5ème : L’IA : découverte des robots conversationnels et générateurs d’images sur https://profdoc.iddocs.fr/spip.php?article94 & 4ème : L’IA : pratiques et enjeux sur https://profdoc.iddocs.fr/spip.php?article95