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Du doute légitime à la fin de l’ignorance : cas d’école devant le complotisme

mercredi 25 novembre 2020, par Florian Reynaud

La « théorie du complot » et le « complotisme » forment une inquiétude croissante chez les professionnels de l’éducation, de l’enseignement, de même chez les professionnels des médias depuis cinq à dix ans.

Au début du mois de novembre 2020, la diffusion du documentaire « Hold Up » ravive cette inquiétude, d’abord dans les médias, mais aussi dans le milieu enseignant, avec surtout des réflexions ainsi qu’une recherche de méthodes pour « lutter contre » ce phénomène complexe. Les médias, de leur côté, globalement, méprisent les tenants et croyants du complotisme et répondent à coup de vérifications des informations.

Il ne peut sans doute pas y avoir d’approche simple vis-à-vis de cette tendance. On constate qu’elle se développe, de manière diversifiée, malgré les efforts déployés à son encontre. Intéressons nous à une publication qui travaille aux frontières du doute et du complot, la revue Front populaire de Michel Onfray et Stéphane Simon, afin de penser globalement, et sans esprit binaire, ce phénomène de croyances. Cela nous amènera à questionner certaines méthodes employées contre le complotisme, et de présenter quelques réponses possibles quant au rôle possible de l’éducation et de l’enseignement dans ce contexte.

Les subtilités méprisées du doute légitime et du complotisme

En septembre 2020, Michel Onfray et Stéphane Simon proposent un deuxième numéro à leur revue Front populaire, numéro consacré à « l’État profond », avec pour sous-titre « le vrai pouvoir à abattre ». En partant de ce concept, plus de vingt auteurs sont amenés à traiter de notions telles que celles de progrès, de complot et de complotisme, de lobby, dans de grands domaines que sont la finance, l’Europe, la santé, la culture, l’influence de cercles fermés, l’enseignement, l’armée. L’ensemble est très inégal, avec notamment beaucoup d’auteurs qui écrivent sans objectivité, sans méthode scientifique, avec un goût pour le sulfureux, sans convaincre. On peut citer dans ce cas Valérie Bugault, Sami Biasoni, Anne-Sophie Nogaret, Gérard Conio, Caroline Galactéros, entre autres. L’argumentaire est souvent solide, au niveau rhétorique, mais avec des idées fragiles. Il en va différemment pour Ingrid Riocreux, au sujet du journalisme, ou de Barbara Lefebvre, concernant l’enseignement [1], avec des articles qui ne donnent pas de mauvaises informations, mais qui ont par contre une approche très subjective [2].

Dans tous ces auteurs il y a quelque chose à prendre, un ou deux éléments, parfois plus. Le problème relève davantage de l’enrobage et de la finalité, avec beaucoup de malhonnêteté, de mauvaise foi, avec une subjectivité mal dissimulée. On peut aisément penser à la lecture d’un ouvrage d’Eric Zemmour, gavés d’argumentations opportunistes au chevet d’une idéologie. Le caractère politique de cette idéologie serait à classer plutôt à droite, chez ces auteurs, mais ce n’est pas toujours si simple. Ce sont des pensées apolitiques parfois, classés à gauche dans des cas rares, dans l’esprit onfrayiste d’un ennemi commun au-delà des clivages. On trouve aussi des articles plus honnêtes, sur des sujets documentés par ailleurs. C’est le cas pour Frédéric Dufoing au sujet des lobbies qui font pression à Bruxelles, pour Didier Raoult et Philippe Douste-Blazy, interviewés séparément, qui surprennent par la mesure de leurs propos, ou encore pour Didier Maïsto. Ce dernier ne cache pas être patron de Sud Radio et de Fiducial Medias, et il dénote quand il traite de la mesure problématique des audiences des médias, qu’il estime biaisées, et des subventions et financements qui en découlent.

La notion de complotisme est souvent citée, ce pour être mise à mal. Il est écrit ainsi que l’État profond ne relève pas de théories du complot, qu’il existe bien, en précisant que le président de la République Emmanuel Macron lui-même en a parlé, et que ce n’est pas une notion inconnue pour les hauts fonctionnaires de Washington. Mais qu’il s’agisse pour les auteurs d’attaquer les cercles autour de George Soros [3], du groupe Bilderberg [4] ou de Siècle [5], on enchaîne des suspicions mal étayées au sujet d’une mainmise de ces individus sur la marche du monde. Le fait qu’on ne précise pas que ces groupes sont des cibles classiques de la « réinformation » sur le web, ou « fachosphère », dans une tendance antisémite, peut alerter sur la subjectivité des éditeurs du magazine. Gérard Conio tisse un réseau nazi dans les origines du groupe Bilderberg, réseau démonté par ailleurs et qui ne présage pas des activités actuelles du groupe. Il se permet d’écrire que « ces accointances ne sont pas anecdotiques, elles témoignent d’une même volonté de conquérir le monde pour créer une société de maîtres et d’esclaves » (p. 88) Une connaissance sommaire des groupe cités, de leurs activités, peut laisser pantois devant ses accusations qui, c’est sans doute le plus important dans les phénomènes de désinformation, se basent avant tout sur l’ignorance du public, en l’occurrence du lecteur.

Il est fréquent que les travaux sur le complotisme, ainsi que les journalistes, cloisonnent, d’une part le complot faux, qui va passer pour loufoque, digne d’un illuminé, et d’autre part le complot avéré, dévoilé par le lanceur d’alerte, « héros des temps modernes ». Pourtant, un autre argument majeur pour démontrer un complot, c’est de se référer au fait qu’il existe des complots avérés. Gérard Conio vise juste quand il écrit ainsi : « Quand on prétend démystifier les théories du complot par la nuance péjorative que l’on attache au ‘complotisme’, on croit nier une réalité par un élément de langage. En inventant les théories du complot, les auteurs des complots propagent le déni des réalités les plus évidentes en les soumettant à un doute systématique. C’est ainsi que les lanceurs d’alerte qui ont le courage de dire la vérité deviennent eux-mêmes suspects et sont exposés aux pires représailles, sans que l’opinion s’en émeuve. Julian Assange et Chelsea Manning sont poursuivis comme des criminels, alors que leur seule faute est d’avoir divulgué des crimes impunis. » (p. 91)

Une lutte peu efficace, et des médias fragilisés

On peut douter de la méthode choisie par l’association Conspiracy Watch, qui entend notamment mener la lutte contre les théories du complot en proposant un décryptage, comme le font différents médias avec une cellule de décodage [6]. Le fait de se focaliser sur ce thème, en mélangeant conspirationnisme, complotisme, désinformation et rumeur, pousse l’association à prendre un rôle politique problématique, loin de la plateforme collaborative Hoaxbuster, plus factuelle, plus mesurée. Que penser de l’objectivité de Conspiracy Watch, par exemple, quand elle annonce que « la victoire de Joe Biden à l’élection présidentielle américaine signe à maints égards une déroute des complotistes » [7] ? N’est-ce pas une opinion gratuite qui peut réduire le complotisme à peu de choses ? Il n’est pas question pour autant d’écrire que cet « observatoire du conspirationnisme » ne vaut rien. Au contraire il peut être très riche en analyses. Mais on peut douter de la méthode et de son efficacité sur certains points : la moquerie vis-à-vis des complotistes, avec un regard condescendant, l’analyse politique parfois agressive à l’égard de personnalités politiques de partis radicaux, quand elles relaient un doute parfois légitime, ou encore la catégorisation complotiste permise parfois sans subtilités…

Pierre-André Taguieff, également plume du site Conspiracy Watch, dénote quelque peu du corpus dans le numéro cité du Front populaire, avec une écriture plus objective que d’autres, et avec une capacité rare à prendre de la hauteur. Ce n’est pas lui qui a titré son article par la question « les complotistes ont-ils toujours tort ? » [8], mais il revient toutefois sur la tendance à tout confondre et à définir comme complotiste toute personne qui émet une proposition qui n’irait pas dans le sens de ce qui nous arrange, ou plus souvent dans le sens de ce qui est communément admis, essentiellement par l’autorité du gouvernement ou par l’autorité des médias. Il s’attaque notamment à l’approche « pathologisante » du complotiste. Cela s’accompagne d’une confusion entre la blague, la mauvaise intention, le doute, la vraie alerte, dans un ensemble uniforme de troubles, comme si chaque individu rangé comme complotiste était atteint de troubles mentaux : « les croyances complotistes apparaissent dès lors comme des interprétations paranoïaques de tout ce qui arrive dans le monde, des interprétations délirantes prises pour des explications. » Il existe une confusion trop importante selon lui entre ce qui relève de la posture du doute et ce qui relève de la paranoïa :

« Cette approche pathologisante, très répandue dans la littérature anticomplotiste, néglige de considérer sérieusement le fait que les théories du complot répondent avant tout au besoin individuel et collectif de comprendre des événements déconcertants et d’échapper ainsi à l’incertitude. On peut les définir d’une façon non polémique comme des ‘allégations non vérifiées de complot’ portant sur des événements jugés importants. » (p. 102)

Le cas des lanceurs d’alerte est à ce titre intéressant. La théorie du complot relative aux écoutes de la NSA pouvait paraître simplement paranoïaque dans les années 1980 et 1990, alors qu’elle est aujourd’hui avérée. Plusieurs événements ont relevé du complot, notamment dans la manipulation de l’information par le gouvernement américain pour justifier les interventions armées en Irak. D’autres sont des fantasmes qui perdurent, quoique de manière plus marginale qu’on ne l’entend parfois, ainsi sur l’assassinat de JFK en 1963, sur l’alunissage en 1969, sur les attentats du 11-Septembre en 2001. D’autres théories sont liées à des craintes d’oligarchie ou de ploutocratie, craintes qui peuvent être fondées mais qui se lancent dans des simplifications claniques, au sujet des francs-maçons, des Illuminatis, et d’autres groupes d’autant moins connus qu’ils peuvent susciter la méfiance.

En 2018 et 2019, l’institut IFOP, en partenariat avec la fondation Jean Jaurès et Conspiracy Watch, a effectué deux sondages au sujet du complotisme [9]. Les résultats dénotent un souci, selon l’institut, qu’il mesure au nombre de fausses croyances des sondés : on retrouve en quelque sorte ici un diagnostic de pathologie. Repris par plusieurs médias pour illustrer le problème, la méthode est peu questionnée : ainsi les sondés sont parfois amenés à adhérer à une « théorie du complot » qu’ils ne connaissaient pas avant le sondage ! Cela ne suppose-t-il pas que l’enquête elle-même apparaît comme un biais qui amène à pencher vers cette théorie ? Ce biais n’existe-t-il pas également, par glissement, pour celles et ceux qui ont déjà entendu parler des autres théories dont il est question dans le même sondage ?

On oubliera, dans la reprise des résultats, souvent, que 6 % seulement estiment que les attentats du 11 septembre 2001 ont été planifiés et orchestrés par des membres de l’administration américaine, qu’il n’y a aucun négationniste parmi les répondants. D’ailleurs à ce sujet la question n’est pas posée de nouveau en 2019. On ne sait à quel point il est inquiétant que certains croient à la manipulation du monde par les Illuminatis, à la présence de chimies dans les traînées blanches des avions, a contrario, qui concernent un nombre conséquent de « croyants ». Que penser par ailleurs de la manipulation des groupes terroristes par les services secrets ? 35 % en ont entendu parler, 31 % sont d’accord, sans qu’on sache si ce sont les mêmes : est-ce à dire que la question est trop floue, que certains estiment que les services secrets ont une part de manipulation sans tout manipuler, ce qui est somme toute leur métier ? Notons enfin qu’aucune théorie avérée n’est testée, qu’il s’agisse des écoutes de la NSA, de la communication autour des armes de destruction massive, par exemple.

Si certains chiffres sont en effet inquiétants, on oublie de s’interroger sur la légitimité du doute. Beaucoup vont estimer que « le ministère de la santé est de mèche avec l’industrie pharmaceutique pour cacher au grand public la réalité sur la nocivité des vaccins », en particulier parce qu’il peut s’opérer un glissement entre la réalité d’un lobbying pharmaceutique, documenté, et le mensonge sur des traitements ou préventions. Le principe d’un complotisme contre lequel lutter peut être une facilité pour dégager les doutes légitimes, pour les minorer. Pour garder le même exemple, s’il est documenté qu’il existe des conflits d’intérêt entre laboratoires pharmaceutiques et gouvernements, des doutes se font jour, qu’il s’agisse des traitements proposés contre le Covid-19, qu’il s’agisse de l’augmentation du nombre de vaccins obligatoires, qu’il s’agisse des affaires liés à la dépakine, au médiator, au paxil, au vioxx, au tamiflu, aux opioïdes [10]

Les médias s’évertuent à « décoder », à vérifier les informations, à mettre en avant ce qui relève de la théorie du complot, du faux, dans les informations diverses publiées et relayées sur le web, sur les réseaux sociaux, dans la « réinfosphère ». Cette matière est intéressante, peut-être nécessaire, encore faut-il qu’elle puisse convaincre celles et ceux qui ont le doute tenace et qui doutent même beaucoup des médias d’information eux-mêmes, dits « médias officiels » ou « médias de masse », deux expressions somme toute péjoratives. Le travail de ces médias se complexifie quand ils sont eux-mêmes diffuseurs, voire créateurs, de fausses informations [11]. Il n’en faut pas beaucoup pour les discréditer complètement, ainsi autour de la supposée attaque de l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière à Paris, le 1er mai 2019, relayée comme telle par des médias comme BFM-TV, France Inter, France Info, CNews, RTL… et par des ministres, par des députés de la majorité, qui ont conforté cette fausse information [12], ou encore avant cela autour de la supposée protection du tabac contre le Covid-19, en avril 2019 sur France Inter, France Info, L’Obs, Le Monde, Le Figaro, Le Point, CNews, BFM-TV, LCI, de manière plus ou moins affirmative [13].

Prenons enfin un cas d’école sur cette capacité des médias à se laisser aller. Ainsi deux jours à peine après avoir pris beaucoup de temps d’antenne pour attaquer le documentaire « Hold up », France Inter, avec des relais sur France Info, a publié et diffusé une « investigation », à base de documents publics, sur l’association L214, avec un titre écrit dans les règles du complotisme : « Derrière L214, l’ombre de la viande in vitro », sur la base de suppositions liées à une partie du financement de l’association [14]. Hors contexte d’une radio qui traite parfois autrement de cette même association, il est aisé de considérer l’article comme partie de la littérature complotiste, ce qui participe à discréditer le journaliste, mais aussi la radio, mais aussi l’ensemble des médias, dans beaucoup d’esprits. Alors qu’il peut y avoir un bonne intention journalistique au départ, une enquête, il faut convenir que la conséquence de cette publication peut être grave : elle participe d’ailleurs d’ores et déjà à réveiller ou maintenir une communauté opposée aux actions de l’association, en légitimant leur pensée, avec des suppositions pour base.

L’instruction et la connaissance, contre les croyances abusives et dangereuses

Si les jeunes sont attirés par les théories du complot, il faut se demander si c’est grave. Peut-être au contraire cette posture du doute est-elle louable, et sans doute est-elle légitime et justifiée, quand bien même beaucoup d’histoires qui en ressortent n’ont aucun fondement. C’est dans sa construction que l’individu se débarrasse des fausses croyances, des soumissions, que les connaissances qu’il accumule lui permettent progressivement de rejeter des croyances. Bien sûr, il existe des obstacles à cette construction, notamment dans le cadre familial, quand les croyances sont plus ou moins imposées, martelées, insinuées dans l’éducation, mais aussi dans le cadre scolaire, quand les croyances sont purement et simplement rejetées, moquées, sans discussion.

On peut douter de l’efficacité d’un travail de développement précoce des compétences à remettre en question les fake news, travail toujours subjectif, in fine, et qui en devient incessant, qui rejette des croyances pour en faire conserver d’autres. Hors la difficulté ou l’impossibilité cognitive de cette exigence, on peut se retrouver devant un travail technique de vérification, très procédural, qui remet en question une publication, mais pas une idée. Que penser par ailleurs d’un enseignant qui travaille sur une fausse information inoffensive comme l’alunissage de 1969 tournée en studio, trouvant le complot juif trop sensible à aborder avec les élèves ? Peut-on croire que la compétence procédurale de démontage d’une information peut être transférée ainsi sur une autre ? C’est loin d’être évident. Ce peut être un exercice intéressant, à maintes égards, pour comprendre certains mécanismes dans la production de l’information, mais qui sera sans doute vain si l’objectif est de lutter contre la désinformation.

Par contre la connaissance du monde, la lecture des sociologues, des économistes, des historiens, voire des philosophes, en relation avec des thématiques susceptibles de théories du complot, voilà qui peut construire l’individu et lui permettre d’aller de l’avant. Une transposition pédagogique de grands auteurs doit être envisageable dès le collège. Il ne s’agit pas alors de « lutter contre les fake news », mais de faire dépasser ce phénomène qui n’est pas toujours, loin de là, le fait de complotistes haïssables, mais bien celui d’individus prêts à tout pour convaincre d’une idéologie. Ce sont des élus ou prétendants politiques au premier plan, des magazines orientés idéologiquement, quel que soit le bord politique [15], médias avides d’audience, par négligence parfois, mais aussi par consensus eu égard à un ensemble médiatique qui tire toujours davantage vers un arrière-plan libéral dans ses choix éditoriaux. Beaucoup d’individus se sont faits un jeu, plus ou moins malveillants, souvent lucratifs, de développer le « complotisme », avec un ensemble de techniques rhétoriques qu’on aurait tort de croire spécifiques au complotisme [16]. Il peut être intéressant de travailler sur ces individus, en faisant des recherches à leur sujet, plus que sur leurs techniques, mais aussi de travailler sur le fond plutôt que sur la forme, comme c’est, finalement, plus le fond qui compte que la forme. Une théorie du complot trouvera plusieurs moyens médiatiques d’atteindre sa cible, tant que cette cible est ignorante du fond.

Ne faut-il pas, à certains égards, enseigner ce que sont la franc-maçonnerie, l’illuminisme, l’alchimie, la kabbale, l’ésotérisme, afin d’en éloigner les fantasmes ? Ne faut-il pas focaliser certains enseignements sur des thématiques de société, comme c’est le cas actuellement pour la thématique de l’égalité entre hommes et femmes, par exemple en développant des séances autour de l’histoire de la médecine ou de l’économie de marché ?

En somme, la théorie du complot n’est pas qu’affaire d’une culture de l’information et des médias. Elle est même surtout affaire de connaissances larges sur la société. Si beaucoup de théories ont lien avec l’actualité, sans doute alors faut-il, et pour bien d’autres raisons, développer des séances pédagogiques au sujet de l’actualité. Cela existe déjà, ponctuellement, en Français, en Enseignement moral et civique (EMC), en Éducation aux médias et à l’information (EMI). La question se pose de séances fréquentes, systématiques, avec alors la possibilité pour les enseignants de trouver le temps d’expliquer l’actualité, de transmettre des connaissances en lien avec l’actualité [17]. Cela suppose toujours des compétences et connaissances pédagogiques qui ne sont pas évidentes, sans formations à ce sujet pour les enseignants dans leur cursus initial, avec des formations continues rares. Cela relève actuellement de la bonne volonté, au service de points du programme, pour un sujet maîtrisé, alors qu’on pourrait envisager des apprentissages plus importants et plus larges à ce niveau.

Quelles responsabilités ? Quelles disciplines ? C’est une question délicate, c’est pour l’instant tout le monde et personne à la fois. La connaissance essentielle des médias, des systèmes d’information, du contexte mondiale de production et de diffusion de l’information, de droit lié à l’information, tout cela ressort d’une spécialité universitaire, les Sciences de l’information et de la communication (SIC). C’est la spécialité de référence des professeurs documentalistes dans leur formation initiale pour la préparation du CAPES Documentation. Cela relève de l’enseignement en information-documentation que ces enseignants ont l’obligation d’assurer mais qu’on ne leur permet pas, bien souvent, de dispenser. Mais la connaissance de l’actualité et l’approche pédagogique à ce sujet ne peut pas, à l’heure actuelle, relever d’une discipline en particulier. L’actualité ne se résume pas à expliquer l’actualité, elle passe aussi par des explications sur le temps long, et l’enseignant d’histoire est alors plus à même de les donner. Elle passe par un suivi de la diffusion et de l’évolution de l’information, et le professeur documentaliste est bien présent pour ce domaine. Elle passe par une analyse, quel que soit le support, des techniques de narration et de rhétorique, qu’il ne faut pas négliger même si elles ne sont pas tout, et l’enseignant de français est compétent dans ce domaine.

Cultiver les connaissances pour questionner les croyances

Il existe dans l’enseignement des spécialités, qu’il faut respecter pour aller de l’avant, loin sans doute d’une rhétorique vaine sur la nécessité de décloisonnements disciplinaires qui ont surtout le défaut d’amoindrir les exigences. Il existe des complémentarités, qu’il faut cultiver, développer, afin de trouver des solutions viables, notamment pour apporter une culture générale aux élèves. Le principe d’une lutte contre le complotisme est une approche trop simpliste, tant ce phénomène de croyances repose sur des problématiques complexes.

Il faudrait établir une fois pour toutes que les élèves se voient assurés des séances en information-documentation, au moins une par semaine, afin de leur transmettre les connaissances nécessaires sur les médias, sur l’information, développer chez eux des compétences de recherche et de vérification, bases d’une démarche informationnelle. Ces connaissances et compétences ne seront pas une solution contre les croyances que certains flèchent comme problématiques, elles ne mettront pas fin au doute légitime, bien heureusement, mais elles permettront d’accéder mieux à l’information et aux connaissances, en interrogeant l’origine de l’information, en interrogeant la source. Cette nécessité, elle est loin d’être acquise au regard de l’inaction du Ministère de l’Éducation nationale dans ce domaine. Mais faisons aussi déjà le vœu complémentaire d’une séance pédagogique associée à l’actualité, chaque semaine, en alternance entre les professeurs de français, d’histoire et d’information-documentation, pour pallier l’ignorance des élèves en augmentant ce transfert de connaissances par des apports en sociologie, en économie, en philosophie, sur les bases des actualités. L’ignorance est le terreau de la désinformation et du tissage de croyances parfois nauséabondes, c’est contre cette ignorance qu’il faut lutter, et ce n’est pas mince affaire.

Encore faut-il que ces apprentissages se fassent en toute objectivité, et ce n’est pas la moindre des difficultés. On sait en effet que le rapport à la vérité est très variable et qu’une approche factuelle n’est pas simple. Pourtant des formations peuvent être développées, elles le sont parfois, notamment pour le CAPES de Documentation, afin d’aider les enseignants à aborder les questions d’actualité avec les élèves, sans parti pris, sans les mener vers les croyances qu’on souhaite les meilleures...

Notes

[1Comment ne pas citer, dans un blog de professeur documentaliste, le passage suivant de Barbara Lefebvre, p. 116, « L’Inspection générale (IG) est l’instance idéologique qui définit les contenus d’enseignement et la pédagogie qui les sous-tend. Un peu moins de 300 inspecteurs généraux, pour la plupart des universitaires ayant peu, voire jamais, enseigné dans le secondaire, se consacrent à cette mission. Parfois nommés en conseil des ministres, certains inspecteurs généraux sont des personnages sans réelle compétence, sinon celle d’avoir rendu de bons et loyaux services à tel président de la République ou ministre. L’Inspection générale vie scolaire est par exemple un des points de chute pour ‘copains’, car les IG de philosophie ou de mathématiques tolèrent moins les parachutages d’incompétents. Le pantouflage ou la placardisation dans les corps d’inspection de la République sont, de toute façon, une vieille habitude qui coûte cher aux contribuables et l’Éducation nationale n’est qu’un exemple parmi d’autres. »

[2On retrouve par exemple la tendance d’Ingrid Riocreux à n’illustrer son propos, son argumentation, qu’à partir d’éléments idéologiques marqués à droite, dans son livre La langue des médias publié aux Éditions de l’Artilleur, également très marquées à droite, en 2016

[3George Soros, né en 1930, est un milliardaire américain d’origine hongroise qui a bâti sa fortune sur la spéculation boursière. Il est à la tête des Open Society Foundations, décriées pour l’influence politique que son argent permet. On retrouve la même problématique pour tous les riches philanthropes, comme Bill Gates dans le domaine de la santé.

[4Ce groupe, créé en 1954, est un club d’environ 130 personnalités politiques, des médias, des affaires, de la diplomatie. Il est reproché à ces individus de prendre des décisions économiques et politiques.

[5Ce groupe, créé en 1944, est un équivalent français au groupe Bildeberg, avec des personnalités du monde politique, économique, culturel, médiatique, auxquelles on reproche, dans un cercle politique libéral, d’avoir une influence politique, par une manipulation médiatique des esprits.

[6Ainsi Le Monde, Libération, France Info usent de tels procédés, intéressants en matière d’analyse, mais qui, on l’observe, ont une faible efficacité pour convaincre.

[7Reichstadt Rudy. La défaite des complotistes. In Conspiracy Watch [en ligne], 08/11/2020. Disponible sur : https://www.conspiracywatch.info/la-defaite-des-complotistes.html

[8« Front populaire » et l’« État profond »… : Taguieff répond à nos questions. In Conspiracy Watch [en ligne], 21/09/2020. Disponible sur : https://www.conspiracywatch.info/front-populaire-et-l-etat-profond-taguieff-repond-a-nos-questions.html

[10On peut lire par exemple cette synthèse : DESCAMPS Philippe. Une médecine sous influence. In Le Monde diplomatique, 11/2020, p. 22-23

[11Les médias sont aussi amenés à faire de la mésinformation, ainsi à ne pas donner une information, de manière problématique, soit par négligence, soit par méconnaissance, soit par souci de simplification ou de vulgarisation...

[12Pitié-Salpêtrière : désinformation générale. In Médiacritique(s), juillet-sept. 2019, n° 32, p. 22-24

[13Le tabac protège du Covid ? Gare à l’enfumage… In Médiacritique(s), avril.-sept. 2020, n° 35, p. 36-37

[14Fayolle Maxime. Derrière L214, l’ombre de la viande in vitro. In France Inter [en ligne], 13/11/2020. Disponible sur : https://www.franceinter.fr/derriere-l214-l-ombre-de-la-viande-in-vitro

[15Notons que les magazines hebdomadaires, comme L’Express, Le Point, Valeurs actuelles, se sont faits les spécialistes de Unes pour le moins provocantes qui jouent sur les mécanismes rhétoriques du doute, de la rumeur.

[16Un exemple parmi d’autres, souvent cité, l’inversion de la charge de la preuve, qui peut être utilisé dans le travail collaboratif sur Wikipédia, au détriment de personnalités à qui on demande de prouver formellement des informations contradictoires avec des informations publiées dans l’encyclopédie, sans qu’on puisse dire que Wikipédia est pour autant complotiste

[17On peut partir de ce qu’ont entendu les élèves, ou encore de la Une projetée du quotidien régional du jour, d’un ou deux quotidiens nationaux du jour, ou encore de l’écoute d’un « flash info » radiophonique.

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