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Planqués ou dépressifs : un mépris entretenu sur les professeurs documentalistes

mardi 4 septembre 2012, par Florian Reynaud

Depuis la rédaction de la circulaire de mission de 1986 et la création du CAPES de Documentation en 1989, on observe une évolution très timide de la profession. Deux concepts ont été transférés d’autres domaines, dans les dix dernières années, sans création originale dans un cadre qui le permettrait pourtant.

 [1]

On peut affirmer qu’il n’y a rien eu de fait pour améliorer l’image et la connaissance de la profession auprès des collègues enseignants, auprès des personnels administratifs et de direction, auprès du grand public enfin [2]. L’évolution de la profession dépend également de la politique de recrutement qui la concerne. Sans rôle plus affirmé des fonctions pédagogiques du professeur documentaliste, cette politique peut ressembler à une variable d’ajustement fort pratique.

De la politique documentaire au Learning Centre ou 3C : quelles perspectives ?

La notion de politique documentaire, depuis 2004, fait parfois sourire, peut-être d’un aspect trop gestionnaire et paperassier pour des missions de documentation qui n’ont pas nécessairement besoin qu’on précise des cadres inscrits, très formalisés, pour la distribution des acquisitions dans les établissements scolaires.

Ce concept se heurte à deux obstacles, d’ailleurs, pour être efficient :
- un faible effectif de professionnels de la question dans chaque établissement,
- une seule véritable perspective, en conséquence du premier obstacle, celui de communiquer sur la gestion documentaire auprès des autres personnels enseignants et des personnels administratifs et de direction, qui n’ont toujours par ailleurs que des connaissances limitées sur les fonctions et missions du professeur documentaliste.

Le concept est mis en avant, sans jamais véritablement s’installer, peut-être sans raison d’être. La profession s’interroge toujours sur la bivalence intéressante entre ses missions gestionnaires et ses missions pédagogiques, intégrant toutes des aspects d’ouvertures culturelles, de développement des TICE. Mais on peut regretter que les réflexions engagées se réduisent en un choix qui n’a pas lieu d’être entre deux pôles. À ce jeu-là d’ailleurs l’institution tend davantage vers l’aspect gestionnaire. Celui-ci prend le pas sur le rôle pédagogique dans les différents textes soumis ces dix dernières années, autour de la bibliothéconomie plutôt que de la didactique, autour du rapport imprimé d’activité et de l’acquisition réfléchie plutôt que des enjeux pédagogiques légitimes à l’action de professionnels de la documentation en milieu scolaire. Signe d’un laxisme théorique sur l’essence du métier, qui peut paraître dérisoire, ridiculement fini, mais pourtant grandement significatif, la question de la gestion des manuels scolaires est toujours passée sous silence, de même que le statut légal du professeur documentaliste et sa reconnaissance, plus souvent animateur et surveillant, dans les mentalités entretenues, plutôt qu’enseignant.

Après un effort récent et très intéressant, de la part des collectivités locales, pour mieux équiper les collèges et lycées en matériel informatique, pour favoriser des accès plus aisés aux élèves, dans les espaces communs, dans les salles d’étude, dans les CDI, l’adaptation pédagogique des cadres et des pratiques aux innovations liées aux TIC reste très faible. Un autre concept est apparu pour la documentation, aux origines plus obscures que le premier, nous renvoyant à un mythe anglo-saxon digne des années 1990, le concept de Learning Centre, devenu 3C (Centre de Connaissances et de Culture). Les machines sont là, logiquement. Mais pour signifier cette révolution, on ne fait que changer le nom du lieu, donner des pistes d’ordre essentiellement gestionnaire, et laisser faire. Pour le professeur documentaliste, en somme, tout repose sur la volonté, sur la concertation consentie, sans qu’on entende à quel point celle-ci peut être difficile, sans volonté d’un cadre minimal permettant d’exercer l’ensemble des missions, en particulier les missions pédagogiques légitimes, statutaires, dans des conditions convenables.

On pourrait supposer pourtant que l’innovation, ce n’est pas forcément la liberté telle qu’elle peut être fantasmée quand tout le monde est d’accord. Au contraire, l’innovation n’est pas maîtrisée dans le cadre scolaire. Il y a une obligation, je pense, mais tout le monde n’est pas de cet avis, d’adapter l’environnement scolaire aux innovations technologiques extérieures. Il ne s’agit pas d’innovation, mais d’adaptation pédagogique [3]. Cette adaptation n’est pas libre, elle dépend de budgets, d’une part, elle dépend des cadres existants, d’autre part. L’innovation, par ailleurs, n’est pas un progrès en soi : ce n’est pas suffisant de proposer l’intégration technique des objets issus de l’innovation, d’autant moins dans le principe déraisonnable de l’expérimentation continuelle, principe qui rejette la pérennité et l’expérience acquise. Sans adaptation pédagogique encadrée, on ne fait que répondre à un besoin matérialiste, sans contribuer à faire de l’innovation, un progrès [4]. Malgré la prise en mains déjà ancienne de la question du numérique et d’une éducation aux médias par nombre de professeurs documentalistes, pour ne citer qu’eux, l’institution ne trouve toujours pas le temps de préciser pour le moins des cadres d’exercice qui permettraient réellement d’avancer aux côtés de ces innovations technologiques et médiatiques. Elle va même jusqu’à mettre en avant l’expression d’éducation aux médias quand elle promeut essentiellement l’éducation par les médias. L’absence de cadres favorables à une éducation critique et positive aux médias, entraîne des pratiques qui ne répondent pas nécessairement aux intérêts de l’élève, citoyen en devenir [5].

On pourrait trouver étrange que les individus qui remettent en question les politiques actuelles en matière de documentation soient qualifiés de personnes qui ont peur face à l’innovation. Étrange, quand on connaît les individus qui apportent le plus de contradictions sérieuses sur le sujet, parfois auréolés d’une légitimité scientifique reconnue dans le domaine des Sciences de l’information et de la communication, et/ou formateurs en IUFM, individus qui consacrent également leur temps, sans craintes, aux nouveautés technologiques et numériques. Ne serait-ce pas du dépit, plutôt que de la peur ? dans une posture critique qui, quand elle ne suppose pas que seuls ceux qui sont d’accord avec la ligne présentée ont raison, souhaiterait être « écoutée » et « prise en considération », plutôt que seulement « suivie » ?

Les professeurs documentalistes : une image déplorable, un recrutement insuffisant

On entend, par voix officielle, que le professeur documentaliste est avant tout un professeur, mais on peut tout de même supposer que ce discours, répété, ne reflète pas ce qui est renvoyé dans la réalité. Les mentalités ne changent pas, peut-être parce que rien n’est fait pour les changer. Le seul « documentaliste », de la part du chef d’établissement, de l’inspecteur lambda, du conseiller TICE, du formateur disciplinaire, ce n’est pas un raccourci : c’est une troncature qui fait exemple et modèle pour tous. C’est un oubli conscient permanent de notre potentiel et de nos compétences.

On joue sur les différences qui existent parmi les professeurs documentalistes eux-mêmes. On signalera toutefois qu’il y a des différences également parmi les professeurs d’une même discipline, avec différentes « écoles », différents parcours, mais avec une cohérence pédagogique amenée par des cadres, qui n’empêchent pas l’expression des différences à travers une liberté pédagogique dont les professeurs documentalistes ne bénéficient pas. Ils ont une liberté didactique, programmatique, qui peut d’ailleurs être désastreuse quand elle est exercée, comme s’il s’agissait pour un professeur de mathématiques de juger lui-même ce qu’il peut enseigner à ses élèves, selon leur âge. Cela pose un problème de légitimité, et de cohésion.

On nous dit compter 13 000 professeurs documentalistes, dans un réseau qui s’est développé, avec des recrutements continus au CAPES, très importants. Mais sur 13 000 professeurs documentalistes, combien sont actuellement titulaires du CAPES ? Moins de 6 000 ? Moins de 5 000 ? Quelle est la part de remplacement de professeurs documentalistes qui partent en retraite ? 1 sur 3 ? 1 sur 4 ? et combien de reconversions ou de réadaptations ? [6] combien de non-titulaires ? de contractuels ? Est-ce qu’on peut imaginer pareilles proportions dans une discipline ? Et pourquoi les statistiques du Ministère nous oublient ?... [7] Certes, cela permet de mieux comprendre pourquoi l’institution a besoin de maintenir, dans cette profession, une grande liberté « de ne pas faire », sans doute plus importante qu’une reconnaissance accrue des missions pédagogiques comprises dans la fonction.

Nous pouvons partir des recrutements effectués au CAPES externe depuis 1991 [8], avec une comparaison entre domaines à partir d’un indice base 100, appliqué sur deux graphiques, pour les années 1994 et 2004 afin d’éviter les erreurs de lecture, deux années choisies pour leur écart mais aussi pour leur proximité à la moyenne de recrutement de Documentation de toutes ces années (222), et sans écarts importants à la moyenne dans chacune des disciplines. On constate que, en dehors des années 1991, 1992 et 1993, qui marquent les suites d’une révolution de la profession, le recrutement est toujours ensuite bien en-deçà de ce qui règne ailleurs, en particulier de 1995 à 2000, puis de 2006 à 2011 d’une manière plus discrète, mais avec des départs à la retraite logiquement plus importants (pour les ex-documentalistes devenus professeurs documentalistes) [9]. En regard de l’écart à la moyenne, seules les années 2001 à 2005 sont positives, dans une tendance générale d’augmentation, avec des efforts spécifiques en 2002 et 2005, toujours dans la tendance globale, efforts bien insuffisants sur le long terme.

En 2012, on ne retient que 105 admis, l’une des plus basses cohortes de l’histoire de ce CAPES, contre une annonce initiale de 157 postes, avec le prétexte d’un manque de candidats et d’un niveau trop bas, deux arguments dont on peut raisonnablement douter. Le niveau exigible pose question quant au seuil légitime et quant à la politique parallèle de recrutement d’autres personnels non qualifiés dans les CDI. Le manque de candidats relève en grande partie du nombre de postes proposés depuis plusieurs années, sans doute également d’une mastérisation plus délicate dans ce domaine non disciplinaire, et de l’image officielle du métier.

Recrutements au Capes - Indice base 100 en 1994
Recrutements au Capes - Indice base 100 en 2004
Statistiques des recrutements au CAPES (.ods)

En 2011, on compte 11 417 établissements du second degré, dont 7 046 collèges (5 270 public, 1 776 privé), 1 630 lycées professionnels (960 public, 670 privé), 2 661 lycées de filières générales et technologiques (1 584 public, 1 077 privé), 80 EREA (1 privé) [10]. Cela fait donc 13 000 « professeurs documentalistes », tout statut confondu, pour 11 496 établissements, sans aucune idée du nombre de non-titulaires peu formés (contractuels, assistants, faisant fonction, reclassés...). 4 134 collèges comptent moins de 500 élèves, 2 912 en comptent plus de 500. 2 916 lycées comptent moins de 700 élèves, 1 375 en comptent plus de 700. Sur une fourchette basse, d’après les tranches d’effectifs disponibles parmi les statistiques, sachant que cela produirait malgré tout des conditions d’exercice difficiles pour assurer les apprentissages liés à l’information-documentation et contribuer à l’éducation aux médias, il semble qu’un professeur documentaliste titulaire dans la première tranche, et deux professeurs documentalistes titulaires dans la seconde tranche, soient un minimum, ce qui relève le nombre à plus de 15 000 « véritables » professeurs documentalistes... On entend par titulaires, des professeurs documentalistes formés au métier et/ou titulaires du CAPES de Documentation après 1989... On peut imaginer que certains soient assistés, à la condition évidente, mais elle n’est pas évidente en réalité, que les assistants soient formés correctement avant la prise de fonction.

Peut-on imaginer, pour comparer avec la situation de la Documentation, et pour en terminer avec la description de ce cadre idyllique, qu’un agrégé de Sciences physiques soit IGEN en Histoire-géographie, par exemple ? Peut-on imaginer qu’il opère seul dans sa discipline mais tout en travaillant sur d’autres domaines en complément, équivalents par exemple à la vaste question des TICE dans l’enseignement primaire, qu’il opère seul et qu’il soit aussi président des concours du Capes en interne et en externe de sa discipline, éventuellement correspondant académique en Guyane ? Ce type de situation permet de se faire une idée du faible intérêt théorique et pratique porté en haut lieu à la documentation.

Conclusion

Les politiques relatives à la documentation en milieu scolaire et à la profession de professeur documentaliste, depuis nombre d’années, sont justifiées par un cadre administratif rigide, peu propice au changement. En ce sens elles sont légitimes, tout comme les observations et critiques qui sont apportés. On peut croire que le pôle de la documentation ne jouit que d’une influence très limitée parmi les hautes sphères, sans que le nombre, la représentation scientifique, la représentation syndicale, ne puissent aisément apporter des faveurs au métier, quand une grande partie se joue à force de pressions et de communications bien senties. Pour autant, c’est oublier un vecteur important, et intéressant, d’évolution de la pédagogie dans les établissements, avec une entrée propice à des formes d’adaptation pédagogique, si tant est que des cadres favorables au changement positif soient profilés. Il y a des idées, sur le terrain, une cohérence à construire, des référentiels qui peuvent être assemblés en synthèse au niveau national, depuis plusieurs années déjà.

Documents joints

Notes

[1Le titre de l’article est inspiré par le coup de gueule d’Eleusie, présenté sur le site du NouvelObs : Les "mauvais profs placardisés à la documentation ? Mon métier n’est pas une poubelle, disponible sur http://leplus.nouvelobs.com/contribution/618312-les-mauvais-profs-placardises-a-la-documentation-mon-metier-n-est-pas-une-poubelle.html (consulté le 30 août 2012).

[2Encore à la rentrée 2012, on signale tout juste « les documentalistes qui animent le centre de documentation et d’information » (http://www.education.gouv.fr/cid220/a-l-ecole-au-college-et-au-lycee.html#Au%20coll%C3%A8ge%20et%20au%20lyc%C3%A9e : vidéo « Collège : qui fait quoi ? », consulté le 28 août 2012).

[3A ce sujet, je renvoie à un article de Christine Vaufrey, qui part du premier rapport Fourgous, qui permet de mettre à jour, grâce à la pratique, la différence entre une pédagogie adaptée aux innovations et la fameuse pédagogie numérique : Vaufrey, Christine, « L’illusion de la pédagogie numérique », in blog.educpros.fr, 30 novembre 2011, disponible sur http://blog.educpros.fr/christine-vaufrey/2011/11/30/lillusion-de-la-pedagogie-numerique/ (consulté le 22 août 2012).

[4Christine Vaufrey présente une synthèse peu communiquée sur l’impact des TICE : Guy Béliveau, « Analyse des recherches sur les TICE », in philosophie.cegeptr.qc.ca, 20 juin 2011, disponible sur http://philosophie.cegeptr.qc.ca/2011/08/analyse-des-recherches-sur-les-tice/ (consulté le 22 août 2012). On lira ainsi dans les conclusions que « Les chercheurs en pédagogie s’entendent généralement pour dire que ce sont les stratégies pédagogiques qui devraient retenir l’attention quand il est question de l’usage des TICE. Le véritable problème consiste à déterminer quelles sont les conditions d’une intégration réussie des nouvelles technologies, le concept de réussite comportant plusieurs dimensions. », ou encore que « La réflexion sur les nouvelles méthodes d’inspiration socioconstructiviste ou d’apprentissage actif et collaboratif (active learning) semblent produire des résultats spectaculaires sur la réussite et la motivation [à ne pas confondre, je rajoute, avec le tâtonnement continuel, sans cadres, annoncé par le Learning Centre ou le 3C]. »

[5On pourra lire à ce sujet un article de Julien Lecomte, dans les problématiques s’appliquent tout autant à la France qu’à la Belgique : « Les apprentis sorciers de l’éducation aux médias (1) », in julien.lecomte.over-blog.com, 3 juillet 2012, disponible sur http://julien.lecomte.over-blog.com/article-les-apprentis-sorciers-de-l-education-aux-medias-1-106708215.html (consulté le 24 août 2012). Morceau choisi : « Plusieurs personnes sont d’accord pour dire que ces dimensions de la vie [les médias] méritent d’être appréhendées à l’école, par l’école. Or, outre poser des termes génériques, le législateur ne crée pas de cours à part entière. Éventuellement, il donne des pistes vagues. Simplement, s’il n’y a pas de lieu où ne travailler que lesdits objectifs, il est possible qu’il n’y ait pas de lieu du tout : c’est à la fois à chacun et à personne en particulier de s’en charger. Certains enseignants ont déjà du mal à tenir leur propre programme. Dans cet ordre d’idées, si l’éducation aux médias est sujette à des initiatives éparses, non formalisées, parfois peu rigoureuses, nous pensons qu’il est possible que ce soit parce que la centralisation/la mise en commun des efforts n’est pas aussi nette et efficiente qu’elle le pourrait. » (partie 1.4. dans la page III du dossier).

[6Note ajoutée le 21 septembre 2012. Selon un compte rendu de la Fadben, publié le 6 novembre 2011, d’une audience auprès de M. Bisson-Vaivre, doyen de l’IG-EVS, du 25 mai 2011, "6 % des personnels seraient en réadaptation", soit près de 800 (disponible sur http://www.fadben.asso.fr/Audience-aupres-de-M-Bisson-Vaivre.html).

[7« Repères et références statistiques » du Ministère de l’Éducation nationale, disponible sur http://eduscol.education.fr/cdi/actualites/reperes-stats2012/ : rien p. 303 ? On fait partie des 480 382 enseignants du second degré, mais on ne va plus loin... Et qu’on ne dise pas que c’est champ trop restreint, ou bien alors qu’on ne détaille pas chaque domaine de la production...

[8Sources : http://www.iufm.fr/applis/concours/index.php pour 1991-2011, Publinet pour 2012.

[9Rappelons que le corps des documentalistes est reconnu en 1970.

[10« Repères et références statistiques » du Ministère de l’Éducation nationale, disponible sur http://eduscol.education.fr/cdi/actualites/reperes-stats2012 (p. 43).

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