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Wikipédia et Vikidia en 2016 : évolutions et pistes pédagogiques

Compte rendu augmenté

jeudi 31 mars 2016, par Florian Reynaud

Un travail conséquent de Gilles Sahut sur l’encyclopédie en ligne Wikipédia permet de faire le point sur ce type de document bien particulier.

Avec une thèse soutenue en novembre 2015 à l’université de Toulouse, dirigée par Marlène Coulomb-Gully [1] et André Tricot [2], Gilles Sahut, enseignant en information-documentation dans la même université, et donc docteur en Sciences de l’information et de la communication, nous invite à re-découvrir « Wikipédia, une encyclopédie collaborative en quête de crédibilité » [3]. L’encyclopédie créée en 2001 jouit d’une grande notoriété, suscite l’intérêt des élèves et étudiants depuis plusieurs années, mais aussi celui des enseignants, notamment des professeurs documentalistes. Il s’agit là de dégager les grandes lignes de cette thèse, son intérêt pour inciter à la lecture des 796 pages, en espérant toutefois qu’elle fasse rapidement l’objet d’un ouvrage. C’est aussi l’occasion, et le texte en traite beaucoup, de revenir sur l’intérêt et les pistes pédagogiques associés au wiki, en 2016, soit 15 ans déjà après la création de l’encyclopédie en ligne, avec Wikipédia mais aussi Vikidia.

Le fonctionnement d’une encyclopédie gigantesque

Après avoir précisé plusieurs notions essentielles à l’étude de l’encyclopédie, celles de crédibilité, de confiance, d’autorité, de référence, de source (ch. 1), Gilles Sahut aborde la question complexe des « jugements de crédibilité », avec une synthèse des études empiriques menées sur le sujet, en particulier dans des recherches anglo-saxonnes dans les années 2000 (ch. 2). Il reprend aussi deux concepts dans leur ensemble, celui d’encyclopédie, à travers l’évolution de ce type de document à travers les siècles (ch. 3), mais aussi celui de communauté, en ligne et documentaire (ch. 4), tant c’est bien le croisement entre les deux, à un niveau jamais atteint, qui fait la particularité de Wikipédia. L’aspect technique est aussi abordé, avec une histoire bienvenue du ou des wikis, des différentes expérimentations, depuis le début des années 1990, qui ont participé de la création de Wikipédia (ch. 5).

La deuxième partie de la thèse nous permet d’entrer dans le monde wikipédien. De ses origines à son ascension, l’auteur présente l’encyclopédie en ligne, son histoire, ses acteurs (ch. 6), avant de préciser l’évolution de sa gouvernance et de l’élaboration des règles relatives à son fonctionnement et à la rédaction des articles (ch. 7). Gilles Sahut propose par la suite une étude empirique complexe et détaillée sur l’élaboration des règles relatives à la citation des sources et à la fiabilité dans la Wikipédia française, à travers les discussions entre contributeurs réguliers (ch. 12), discussions souvent passionnées, parfois teintées d’humour. Cela permet au néophyte de comprendre plus précisément encore l’évolution de l’encyclopédie collaborative, par le fait de la communauté elle-même. Ce sont des échanges continuels, qui sont étudiés, mais aussi des « accidents » qui ont une influence sur l’élaboration des règles. Ainsi l’affaire Seigenthaler, en 2005, et d’autres du même type associés à l’insertion de fausses informations dans des articles biographiques, participent-elles à mieux encadrer la nécessité de préciser les références dans les articles, avec ainsi aujourd’hui la balise [référence nécessaire] (p. 568-572), ou encore de réfléchir à la qualité des sources que l’on peut être amené à citer.

En matière d’évolution, l’image d’une plate-forme très ouverte et bienveillante peut alors laisser place, avec les années, à un système hiérarchisée plus stricte, autour de contributeurs très impliqués détenant un certain pouvoir. C’est aussi un phénomène d’automatisations qui peut être observé, avec ainsi, précise Gilles Sahut, depuis la création jusqu’en janvier 2014, sur la Wikipédia francophone, 506 bots qui ont effectué plus de 28 millions de contributions, soit 27 % du total des edits. C’est enfin l’explosion du nombre de bandeaux et messages d’avertissement quand les sources sont jugées insuffisantes ou quand il y a soupçons de plagiat (p. 585-592). Ces évolutions sont à lire en parallèle avec le succès grandissant de l’encyclopédie auprès du grand public, avec alors des soucis de crédibilité, la recherche d’une meilleure qualité (ch. 8). C’est l’occasion d’observer le ressenti des jeunes à l’égard de Wikipédia, plutôt positif, avec par contre un regard perçu comme négatif chez les enseignants, ce qui ne les empêchent pas d’utiliser l’encyclopédie de manière importante, invitant par contre leurs élèves ou étudiants à la prudence.

Approches et pistes pédagogiques sur Wikipédia

Au-delà de la lecture et de l’évaluation des articles disponibles sur Wikipédia pour des recherches info-documentaires, qui ne sont pas exclusifs à l’encyclopédie dans l’intérêt pédagogique qu’on peut y trouver [4], le travail d’écriture des élèves dans Wikipédia a surtout deux atouts, ce qui n’est pas nouveau : connaître le fonctionnement de ce site web bien particulier et s’approprier un mode de communication également particulier, l’écriture collaborative. C’est aussi l’occasion de développer certaines notions, notamment de source, de type de source, de référence, de notoriété, d’autorité, de neutralité, notions plus ou moins complexes et qui peuvent susciter des controverses à faire vivre également chez les élèves.

Gilles Sahut présente deux études empiriques éclairantes pour la suite à donner dans le cadre pédagogique, à travers une enquête sociologique d’une part, autour des représentations sur l’encyclopédie (ch. 10), à travers l’observation scientifique de participations de lycéens au Wikiconcours, dans le cadre de projets scolaires encadrés par leurs enseignants (ch. 11).

Sans surprise, l’accès à Wikipédia est massif et l’encyclopédie est considérée comme utile ou très utile, en particulier pour les travaux scolaires, notamment au collège. Toutefois la confiance, réelle, est moindre que pour les documents imprimés. Ce sont l’impression de complétude et la commodité d’usage qui priment pour expliquer les avis positifs donnés, quand a contrario l’aspect collaboratif et le manque supposé de fiabilité, surtout au lycée, viennent expliquer les avis négatifs. On retrouve par ailleurs l’idée que les élèves estiment que leurs enseignants, plus de la moitié, ont une image négative de Wikipédia, avec en résultat pratique des stratégies à utiliser l’encyclopédie mais en ne la citant qu’auprès des enseignants qui n’y sont pas réfractaires. Par ailleurs, les connaissances des élèves sur Wikipédia sont relativement faibles, surtout en collège, en particulier au sujet des modalités d’évaluation des contenus, mais aussi au sujet des règles rédactionnelles.

Les observations relatives au Wikiconcours donnent un résultat mitigé, en particulier pour ce qui concerne l’immersion complexe dans une communauté wikipédienne plus ou moins ouverte, qui porte un regard relativement méfiant vis-à-vis de ce projet. La difficulté tient en particulier de la richesse de l’encyclopédie, qui fait qu’il peut être difficile d’organiser des projets de rédaction qui dépassent le cadre du brouillon. Par contre les connaissances informationnelles sur Wikipédia augmentent, ce qui répond bien à l’un des objectifs du projet. Mais davantage estiment après l’expérience qu’il faut être inscrit pour contribuer et qu’il y a une évaluation systématique avant la publication des modifications, ce qui ne va pas sans surprendre le chercheur. La confrontation avec la communauté et les règles de rédaction ou d’évaluation a un effet négatif dans le déroulé du projet, dans l’aspect relationnel, mais elle amène à augmenter la confiance envers les contenus, tant la surveillance s’avère importante.

La participation au projet collaboratif de Wikipédia suppose des compétences diverses et l’adhésion à un ensemble de règles qui ne sont pas du tout évidente pour le néophyte. Pour les élèves, c’est d’autant plus difficile, d’où l’intérêt d’un projet de ce type, d’une part pour entrer dans la « machine », d’autre part pour évacuer des préjugés et méconnaissances qu’on voit inscrites chez les plus jeunes, comme chez nombre d’adultes.

L’ensemble du travail de Gilles Sahut permet de cerner des notions à développer chez les élèves, dans la particularité de Wikipédia. Les réflexions à l’œuvre parmi les administrateurs eux-mêmes au sujet de la qualité des sources paraît un élément intéressant à travailler avec les élèves, en fin de collège et surtout au lycée, dans la participation même à un travail collaboratif, mais plus globalement dans tout travail de production documentaire. Qu’il s’agisse d’une hiérarchisation des sources, d’une définition de critères à l’élection d’une source, ou d’une mise à l’écart de certains types de sources, il y a là matière à travail pédagogique, et la confrontation à la communauté wikipédienne peut être à cet égard intéressante. Gilles Sahut donne ainsi quelques exemples pris dans les échanges communautaires, en matière d’autorité des sources, en observant que l’approche est alors différente selon le domaine dont il peut être question (p. 596-600). De même la question complexe des notions de neutralité, d’objectivité, de subjectivité, apparaît-elle directement dans la contribution à Wikipédia, avec là encore une réflexion communautaire d’importance à savoir quelles sont les limites et les moyens de contrôle pour respecter le principe de neutralité, principe fondateur de l’encyclopédie, sujet de controverses et de désaccords dans la communauté.

Vikidia, une alternative pour le secondaire

La complexité d’un projet pédagogique sur Wikipédia, en particulier pour parvenir à une participation aboutie, avec la publication actée de contenus et de corrections, peut être bien moindre en collège, voire en lycée. Ainsi le projet collaboratif Vikidia permet encore des ouvertures nombreuses, avec un peu plus de 22 000 articles quand la version française de Wikipédia en compte plus d’1,7 million.

L’encyclopédie Vikidia a été créée en 2006 par Mathias Damour. Elle est gérée depuis 2011 par l’association Vikidia, dont il est président [5]. Vikidia est l’équivalent de Wikipédia pour les jeunes de 8 à 13 ans, pour des contenus adaptés donc. L’écriture est ouverte à tous, élèves, étudiants, adultes... Vikidia se présente en soi comme un projet ou un outil pédagogique, soutenant la rédaction dans le cadre de projets pédagogiques. Mathias Damour est par ailleurs membre de l’association Wikimédia France et met en avant, sans nécessairement intervenir directement dedans, les projets pédagogiques sur les deux encyclopédies [6].

Bien sûr Vikidia n’est pas Wikipédia, et si l’objectif est de précisément connaître Wikipédia, il sera difficilement atteint, tant les contraintes seront moindres sur Vikidia, tant la communauté y est moins importante. Toutefois, si l’objectif est de connaître l’outil technique d’écriture collaborative de Wikipédia et de cerner le principe et l’esprit de l’écriture collaborative, du projet collaboratif, alors il sera atteint. Effectivement, au-delà du moteur MédiaWiki qui est le même, Vikidia fonctionne aussi avec « l’éditeur visuel », sans nécessité par exemple de maîtriser le wikicode comme c’était le cas aux débuts de ces encyclopédies. Le principe est le même que sur Wikipédia, et c’est même une Wikipédia en construction, adaptée aux jeunes, qui permet d’affirmer que l’approche communautaire est très proche, sans doute avec une agressivité moindre, un ton moins sec, entre vikidiens. On retrouvera d’ailleurs le même souci de conseils et d’avertissements que sur Wikipédia.

L’intérêt principal est la possibilité pour les jeunes, et pas seulement en primaire, mais bien aussi au collège et au lycée, d’écrire sur des sujets très variés, sans se soucier réellement de l’existence préalable des articles. La plupart des articles sont perfectibles, toujours avec un souci de discours adapté, ce qui est en soi une compétence importante à travailler. On trouvera beaucoup de pistes sur la page consacrée aux projets pédagogiques de Vikidia, avec des conseils, des informations, avec liens, sur les règles de syntaxe à respecter, sur les principes à suivre dans la participation au projet, en insistant sur le rôle pédagogique de Vikidia, avec des projets à rendre visibles, des propositions d’articles à créer, avec de l’aide à demander auprès d’autres contributeurs, avec enfin des exemples de projets en cours ou passés [7].

Pour le professeur documentaliste, il y a là un outil très intéressant, pour une méthode active, afin de développer plusieurs savoirs info-documentaires chez les élèves. Si la question des médias est déjà relativement bien traitée, mais perfectible, il existe plusieurs champs de connaissances à travailler par exemple avec un autre enseignant. On peut penser aux sciences de la vie et de la terre et aux sciences physiques et à la chimie, ou encore à l’histoire, avec des possibilités qui semblent encore inépuisables, autour d’un chapitre (qu’il faudra bien sûr tester avant), que ce soit pour des créations ou plus modestement pour des vérifications et corrections. Le domaine de travail le plus fréquent, en regard des projets passés, est l’Antiquité, notamment la mythologie grecque, domaine également le plus consulté par les lecteurs, d’après les observations de Mathias Damour. En géographie, le travail sur l’espace local, en cycle 3, se prête à un travail continu avec les cohortes successives d’élèves.

Mais finalement toutes les disciplines ont matière à des contenus encyclopédiques. Quand le professeur documentaliste développera les notions de droit de l’information, d’éthique de l’information, de support, de type de document, de publication, de redocumentarisation, d’instabilité documentaire, de source et de type de source, de référence, de mot clé, d’Internet, de base de données, de citation, de plagiat, de production documentaire, de discours… Selon le niveau des élèves, la progression définie pour eux, et les objectifs précis d’une séquence, il y a bien là un travail à investir ou à réinvestir, en outre une présentation d’une activité particulière, l’écriture ou le projet collaboratif en ligne [8].

Conclusion

Les encyclopédies collaboratives évoluent, Wikipédia continue de susciter les passions, tant sa notoriété reste grande, tant son contenu s’avère aujourd’hui impressionnant. Gilles Sahut engage une synthèse essentielle des études menées depuis 15 ans autour de l’encyclopédie, et nous permet de cerner les enjeux auxquels souhaite répondre la communauté wikipédienne. Plusieurs projets consistent à inciter la population à participer à l’écriture, ainsi avec le WikiMooc initié par Wikimédia France en février et mars 2016 [9]. Dans l’enseignement secondaire, sur Wikipédia à travers les Wikiconcours et le soutien nécessaire de wikipédiens aguerris et motivés, sur Vikidia à travers des projets ouverts, les professeurs documentalistes ont un champs importants à découvrir ou re-découvrir afin de travailler nombre de notions info-documentaires avec leurs élèves.

Il va de soi que l’engagement dans un tel projet suppose des connaissances préalables sur l’encyclopédie en ligne, c’est en ce sens que la lecture de la thèse de Gilles Sahut est une somme essentielle pour reprendre les bases et comprendre le mécanisme wikipédien.

Notes

[1Marlène Coulomb-Gully est chercheuse en communication politique et sur les représentations du genre dans les médias, professeure en sciences de l’information et de la communication à l’Université Toulouse II-Le Mirail.

[2André Tricot est professeur d’université en psychologie à l’École supérieure du professorat et de l’éducation Midi-Pyrénées.

[4Rapidement s’est posée, notamment, la question d’une réactivité nécessaire devant le phénomène de copié-collé des élèves dans leurs recherches et leur consultation de Wikipédia, avec alors des pistes pédagogiques autour du « document de collecte », concept développé par Nicole Boubée. Plus de précisions avec : BOUBÉE Nicole. Le rôle des copiés-collés dans l’activité de recherche d’information des élèves du secondaire. In ArchiveSIC [en ligne], 2008. Disponible sur : http://archivesic.ccsd.cnrs.fr/docs/00/34/41/61/PDF/NBoubee-Erte-CopieColle.pdf et Le document de collecte : quand la recherche documentaire devient écriture, mémoire et partage. In Doc pour docs [en ligne], 2014. Disponible sur : http://www.docpourdocs.fr/spip.php?article539

[5Sur Vikidia : la page de Mathias Damour sur : https://fr.vikidia.org/wiki/Utilisateur:Astirmays  ; la page de l’association Vikidia sur : https://fr.vikidia.org/wiki/Vikidia:Association_Vikidia

[6Pour l’accompagnement pédagogique des projets pédagogiques avec Wikimédia France : https://fr.wikipedia.org/wiki/Wikip%C3%A9dia:Projets_p%C3%A9dagogiques/Ressources

[7Vikidia:Projets pédagogiques. Disponible sur : https://fr.vikidia.org/wiki/Vikidia:Projets_p%C3%A9dagogiques (consulté le 25 mars 2016)

[8Précisions sur les notions citées dans le Wikinotions Info-Doc, disponible sur : http://apden.org/wikinotions/ avec également quelques références, sur : http://apden.org/wikinotions/index.php?title=R%C3%A9f%C3%A9rences_%28par_auteur%29 et des pistes pédagogiques sur : http://apden.org/wikinotions/index.php?title=Cat%C3%A9gorie:S%C3%A9quences

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