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Analyse Fourgous V2 : 4. Les pédagogies nouvelles liées aux TICE

lundi 14 mai 2012, par Florian Reynaud

En pointant le retard français, toujours sur des bases statistiques discutables, Jean-Michel Fourgous présente un outil, l’e-portfolio, qui ferait ses preuves dans d’autres pays. Ainsi, il en vient à obliger un usage, tandis que les enseignants, sous forme de stages d’établissement, peuvent recevoir des formations plus adaptées à leurs besoins, ceux-ci liés à leur prise en charge des programmes, pour développer des cadres pédagogiques innovants avec les TIC.

4. Les pédagogies nouvelles liées aux TICE

Référence  : analyse de la partie 6 (« Les TICE : catalyseurs de pratiques innovantes en classe »), p. 121-158

4.1. Des enseignants français en retard

Pour démarrer sur les TICE proprement dites afin de défendre leur développement sur l’ensemble des arguments et chiffres sans valeur qu’il a proposé jusqu’ici, M. Fourgous a le sens pratique et démarre sur une étude de la Commission européenne qui n’a pas été suivie en France, ce qui ne lui pose pas de problème ensuite pour expliquer que les TIC sont peu utilisées à l’école dans l’hexagone, sans comparaison possible par rapport aux pays qu’il porte en modèles (Danemark, Norvège, Pays-Bas) [1]. Par ailleurs cette étude citée aborde peu d’aspects pratiques, avec par contre beaucoup de comparatifs sur les recommandations officiels de chaque pays auprès des enseignants. Si l’on regarde les statistiques relatives aux usages des jeunes, la France, si elle n’apparaît pas, ne doit pas avoir à rougir des voisins sur ce qu’on en apprend.

Les chiffres pour la France, de la DEPP, sont corrects (p. 123) [2], comme quoi cela peut arriver dans ce rapport, même si l’auteur prend bien soin de choisir les chiffres les plus bas : 64 % utilisent les TICE avec manipulation des élèves, mais 5 % tous les jours. Ce serait trop rassurant d’écrire que 17 % les utilisent avec manipulation une ou plusieurs fois par mois (p. 10 du document cité), si l’on considère qu’on ne peut réellement pas tout construire autour des TIC et de leur manipulation (on est à 18 % sans manipulation).

Continuons. Pour nous dire que « depuis 2006, les études montrent que dans leur grande majorité, les enseignants n’ont pas adopté de nouvelles pratiques pédagogiques », M. Fourgous cite une étude de 2006 ! Pour nous dire que « toutes les recherches effectuées depuis dix ans montrent également que, d’une manière générale, les outils numériques sont utilisés sans interrogation préalable quant à leurs intérêts pédagogiques », M. Fourgous cite une étude qui a onze ans ! [3] A croire que le sujet est un peu plus complexe que cela. Mais il est plus pratique pour l’auteur de simplifier, cela donnerait presque une légitimité à des propositions qui ne sont pas bonnes. On nous ressert de l’interactivité et du jeu sérieux, qui seraient à développer à l’école, mais dans une ingérence redoutable de la part de M. Fourgous, et sur des études, là, qui datent de 1995 et 1996, avec le recul que l’on pourrait pourtant espérer au sujet du jeu numérique éducatif ou du logiciel éducatif...

4.2. Une pédagogie différencié : la solution (e-portfolio) avant la logique

Les TIC permettraient de répondre à la diversité des élèves, aux besoins de chacun d’entre eux, en différenciant la pédagogie. On se demande encore comment fonctionne ce monde automatique et magique imaginé par M. Fourgous, mais la démagogie ne l’empêche pas de rattacher tout cela à la motivation et à l’envie d’apprendre, comme ce sont deux objectifs qu’il sait délicat de rejeter. Ce sont les conclusions qui ne vont pas... La plupart de ses propositions n’ont aucun ancrage dans la réalité, il n’estime en rien le temps que nécessitent ses idées déjà anciennes (un forum ? une plateforme collaborative ? on ne se casse plus les dents sur ces domaines grâce aux évolutions technologiques ?). M. Fourgous n’oublie-t-il pas l’humain ? mais encore le monde en dehors des TIC ?

A la louche, on nous explique l’intérêt de chaque outil selon l’aspect pédagogique entrevu (p. 130), où l’on retrouve un engouement étrange pour la tablette numérique... Mais on est rassuré quand on voit que M. Fourgous, dans tous les cas, fait reposer le développement des pratiques pédagogiques numériques sur la qualité globale des formations proposées aux enseignants.

Pour défendre l’e-portfolio et l’auto-évaluation, M. Fourgous fait appel au rapport PISA 2000 [4], qui montrerait que « les élèves pratiquant l’autoévaluation obtiennent de meilleurs scores que ceux ne le pratiquant pas ». Une recherche plein texte dans ce rapport de 343 pages est vaine pour les chaînes de caractères ’auto’, ’évaluation’, ’valu’, ’confiance’, ’apprentissage’, ’dévelop’. Sur le second rapport citée, de la même enquête, l’autonomie est bien présente, mais pas dans le cadre de l’auto-évaluation [5]. Il y est surtout question de la notion de confiance, que M. Fourgous met en avant par ailleurs, mais en faisant un lien qui n’existe pas clairement avec l’évaluation formative, qu’il s’agisse d’assessment ou d’evaluation (sans d’ailleurs que la distinction faite dans le rapport de M. Fourgous entre les deux termes soit tout à fait correcte : la ligne de partage entre évaluation sommative et évaluation formative n’est pas si évidente dans les autres pays, comme en France). Pour ma part je n’ai pas d’avis tranché sur PISA, par contre je m’oppose clairement à toute manipulation des chiffres et des documents, c’est évident.

Présenter un projet dans lequel on évalue aussi l’attitude est délicat, ce que fait M. Fourgous, avec un comparatif avec l’EPS qui n’est pas tant fondé, sur des apprentissages très différenciés. Il met en avant le numérique pour mettre fin à la « constante macabre », alors que rien ne soutient que c’est une solution viable. Contre une évaluation des connaissances, il défend, non pas l’évaluation des compétences, mais celle des savoir-vivre. Pour se faire, il s’agit de développer l’e-portfolio, qui reste pour le moment un gadget au secondaire, encore plus spécifiquement au collège comme il demande un engagement autonome sérieux de l’élève, peu évident dans cette tranche d’âge, mais aussi des moyens techniques, de maintenance par exemple, que l’on n’a pas.

Certes il est envisageable de favoriser cet engagement autonome, mais cela demande des moyens colossaux, un temps multiplié d’accompagnement, en particulier de la part de tous les parents, sans quoi la démarche est totalement vaine. Il faut par ailleurs noter que le feed back mis en avant par M. Fourgous sur le support numérique est loin d’être évident pour ces élèves, en France comme ailleurs, et que les traces, elles existent déjà sur les modes éducatifs actuels, sous formes imprimées, c’est une évidence, ne sont pas revues si souvent, et que le numérique, support différent, ne peut révolutionner pratiques et culture (cette dernière notion absolument absente de la réflexion de M. Fourgous).

4.3. Quelle formation pour développer le pôle numérique

Le rapprochement de l’IUFM et de l’université est-elle une étape pour favoriser ce que souhaite M. Fourgous ? On peut en douter quand on sait la motivation essentiellement économique, mais aussi politicienne, de ce rapprochement. La rédaction de mémoires professionnels existait auparavant, plus ou moins proches de la Recherche, selon la proposition de l’étudiant ou du stagiaire, comme aujourd’hui, sans que la réforme dont on parle opère un tel rapprochement qui impacte sur la carrière de l’enseignant, sur le court ou le long terme, comme il n’y a pas ensuite de formation associée et continue.

La comparaison donnée avec les pays d’Europe du Nord est mal venue. On donne des chiffres en Finlande, aux Pays-Bas, en Norvège, au Royaume-Uni, mais là encore rien ne dit que l’on doit en rougir, si ce n’est M. Fourgous, écrivant que « tous les pays d’Europe du Nord ont réellement investi dans la formation aux outils et usages du numérique de leurs enseignants » (p. 141), alors que « l’équipement des instituts de formation français et des universités est très variable » (p. 142), sans chiffres à l’appui pour soutenir cette opposition. On va éventuellement dans le détail (p. 145-148), ce qu’on ne fait pas pour les exemples étrangers, afin de continuer à construire de fausses évidences à partir de riens, et c’est poussif au possible. Cela se termine, une rengaine, avec des considérations négatives, démagogiques, envers les enseignants (p. 150).

Alors qu’il existe une réelle demande au sujet de stages d’établissement réguliers (parfois de stages disciplinaires sur des outils spécifiques) pour développer des compétences pédagogiques avec les outils numériques nouveaux (du vidéoprojecteur au TNI, de la salle informatique à la classe mobile, du traitement de texte au wiki), M. Fourgous propose un fouillis d’idées [6] qui s’appuient, c’est toujours important de le dire, sur des chiffres manipulées et sur des considérations erronées. Dans son désamour des enseignants, il s’agit pour lui d’ingérence, d’obligation (assumée p. 154, en s’appuyant sur les modèles étrangers !), alors qu’il y aurait matière à développer des moyens de formation d’équipes pour faciliter les nouveaux usages (jusqu’à l’e-portfolio si ce n’est effectivement pas trop lourd).

On retrouve toutefois l’idée plus loin dans le ’programme’ de M. Fourgous, aux pages 204-207 : mais si la formation en ligne est une idée intéressante (elle existe déjà via les listes professionnelles et la veille informationnelle en discipline), il convient plutôt, à mon humble avis, d’insister sur la formation réelle, en équipe pédagogique, sur des propositions de stage d’établissement sur différents thèmes et sur un ensemble de problématiques, comme il semble en effet que les stages externalisés n’aient pas d’effet probant sur les pratiques à long terme [7].

LIRE LA SUITE : 5. Autodidaxie naturelle et management des enseignants

Notes

[1Commission européenne- Eurydice (2011).. Key data on Learning and Innovation throught ICT at School in Europe. Education, Audiovisual and Culture Executive Agency. En ligne. Consulté le 9 mai 2012 http://eacea.ec.europa.eu/education/eurydice/documents/key_data_series/129EN.pdf

[2Depp (2010). Les technologies de l’information et de la communication (TIC) en classe au collège et au lycée : éléments d’usages et enjeux. Les Dossiers. Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance- Ministère de l’Éducation nationale. Octobre 2010. En ligne. Consulté le 9 mai 2012 http://media.education.gouv.fr/file/197/18/9/Dossier197_158189.pdf

[3European Schoolnet (2006). Balanskat, A., Blamire, R., Kefala, S. The ICT Impact Report. A review of studies of ICT impact on schools, Brussels. En ligne. Consulté le 24 février 2012 http://ec.europa.eu/education/pdf/doc254_en.pdf Cuban, L. (2001). Oversold and underused : Computers in the classroom, Harvard University Press, Cambridge, Massachusetts, London. En ligne. Consulté le 9 mai 2012 http://www.hull.ac.uk/php/edskas/Cuban%20article%20-%20oversold.pdf

[4OCDE (2001), Knowledge and Skills for Life – First Results from PISA 2000, OECD, Paris. En ligne. Consulté le 22/07/2014. Disponible sur : http://www.oecd.org/education/school/programmeforinternationalstudentassessmentpisa/33691620.pdf

[5OCDE (2003), Learners for Life : Student Approaches to Learning : Results from PISA 2000, OECD, Paris. En ligne. Consulté le 9 mai 2012 http://www.oecd.org/dataoecd/43/2/33690476.pdf

[6Quel besoin d’ambassadeurs du numérique ? il faut des formateurs, pas des missionnaires. Quel besoin et quel intérêt d’une école virtuelle sur un ENT ? C’en est presque ridicule. Et quelle idée de « faire confiance aux enseignants innovants » ? Sur quelle idéologie se fonde-t-on pour cela ? Et les autres ? On ne leur fait pas confiance... ? Et pourquoi le sommatif viendrait à brûle-pourpoint, magie, tant décrié dans le rapport, afin de favoriser le numérique par ailleurs... ?

[7OCDE-CERI (2008) ICT and initial teacher training-research Review Draft. En ligne. Consulté le 12 mai 2012 http://www.oecd.org/dataoecd/3/20/42421255.pdf (cité p. 204 du rapport Fourgous)

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