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La marche forcée des 3C

vendredi 15 février 2013, par Florian Reynaud

En 2012, l’IGEN-EVS met en avant le concept des 3C, centres de connaissances et de culture, après avoir repris dans un premier temps celui de Learning centres. A la suite de la politique documentaire développée en 2004, ce sujet pose question pour le métier de professeur documentaliste, donnant davantage de place à la gestion au détriment de la pédagogie.

A l’heure actuelle, les professeurs documentalistes n’ont pas peur de l’innovation, mais ils ont parfois des doutes au sujet de leur hiérarchie, à plusieurs niveaux, sur plusieurs sens, de ce qu’elle leur réserve pour l’avenir, de ce qu’elle leur reconnaît comme compétences professionnelles. Et l’actuelle marche forcée ressentie dans certaines académies [1], et dans certains textes dits de réflexion, pour imposer l’expérimentation des 3C, n’est pas là pour améliorer la situation.

Le passage aux 3C ne représente pas qu’un changement de nom pour le lieu CDI, il semble qu’il soit nécessaire de le rappeler. Ceux qui s’y opposent, posent un argument essentiel, d’affirmer que les textes qui soutiennent les 3C occultent les missions pédagogiques du professeur documentaliste, les verrouillent même en développant des missions gestionnaires toujours plus nombreuses, avec un « retour aux sources » que M. Durpaire, IGEN-EVS chargé de la Documentation, inscrit d’une manière qui peut sembler écœurante dans une présentation donnée à l’ENS de Cachan le 10 janvier 2013 [2]. Le seul élément qui permette de garder une once d’espoir, grâce à la DGESCO et à la DGRH, c’est de lire ou d’entendre régulièrement, même si ce n’est pas suffisant, que le rôle pédagogique du professeur documentaliste n’est pas remis en cause, tandis qu’en parallèle tout le changement prévu par des textes informels comme le Vadémécum 3C [3], toute la modification du métier, se font autour d’une gestion accrue.

Le prétexte trouvé n’est pas si justifié qu’on veut nous le faire croire : ce n’est parce que le professeur documentaliste assure l’accès des élèves aux ressources documentaires, imprimées et numériques, qu’il doit s’opérer un glissement vers l’accès de toute la communauté scolaire aux « ressources numériques », expression très vague qui n’a concrètement pas grand sens. C’est une démarche de facilité, qui trouve essentiellement raison dans l’absence de personnels ou de moyens de décharge auprès de référents numériques : la conséquence est fâcheuse, revenant à minorer les autres missions du professeur documentaliste, en particulier donc ses missions pédagogiques.

Dans cette marche forcée, les DA-SEN sont amenés à poser des perspectives nouvelles, dans une problématique tournée essentiellement vers l’offre numérique et l’organisation de la vie scolaire, sans plus grand respect, si ce n’est en surface, pour ce qui relève des apprentissages info-documentaires, de la culture informationnelle, de l’éducation aux médias. Notons à ce sujet que l’Inspection générale n’a jamais pris le soin de pousser le développement d’un secteur qui lui revient pourtant directement, celui d’une didactisation des savoirs et savoir-faire info-documentaires. Il s’agit pourtant pour les professeurs documentalistes, depuis des années, de prendre en main l’innovation numérique, le changement des pratiques, pour intégrer ces éléments dans une progression pédagogique adaptée, mais relativement réduite, parfois insuffisante, comme il convient de respecter l’ensemble des missions précisées dans la circulaire de 1986. La consubstantielle moelle de cette circulaire n’est pas contestée, avec les évolutions que sa lecture suppose, par la grande majorité des acteurs pédagogiques aujourd’hui.

Contre des apprentissages info-documentaires :

le mythe d’une autodidaxie des élèves devant l’outil numérique

Contre des cadres didactiques et l’organisation d’un enseignement, deux objets qui souffrent d’une mauvaise image aujourd’hui, avec l’absence d’ambitions, à ce sujet, au sein des instances nationales, sur des choix politiques récents, on s’appuie sur des systèmes de pensée dépassés pour soutenir les termes d’une autodidaxie des élèves, dans l’usage continuel des outils. Le simple accompagnement de ces usages vient, dans ce mythe, favoriser le développement de l’esprit critique. On en vient à rejeter la « prescription curriculaire » au nom d’une approche autonome, confondant cette dernière, sur des structures idéologiques problématiques, avec une approche libérale de la culture et de la construction personnelle de l’individu.

On retrouve ce système de pensée dans l’entrevue donnée par Vincent Liquète et Yolande Maury, sur le site SavoirsCDI en 2008 [4]. La référence à cet article n’est pas anodine, comme des extraits en étaient proposés, dans le sujet d’admissibilité du Capes interne de Documentation en 2013. Pour ne pas s’en tenir à une simple interview, dont le propos reste limité, précisons que la didactique de l’information constitue l’un des parcours de recherche de Vincent Liquète, à l’Université de Bordeaux-3, avec une reconnaissance de savoirs de référence pour la formation du professeur documentaliste [5]. Concernant Yolande Maury, de l’Université d’Artois, on notera que la position énoncée dans l’interview s’éloigne de travaux plus riches et plus complexes de sa part, avec un intérêt certain pour la recherche didactique, même si on peut reprocher une certaine volonté d’appropriation, autour de Vincent Liquète et de Muriel Frisch, plutôt que d’une reconnaissance de convergences, sur des approches complémentaires [6]. Il paraît peu pertinent de minorer l’intérêt des travaux de recherche didactique et de conceptualisation, autour des notions info-documentaires, plutôt que d’engager des pistes complémentaires qui conduisent à construire un curriculum. On ressent actuellement un blocage contre les avancées, d’autant plus que l’IGEN et la DGESCO ne prennent pas ce travail en charge, qui devrait pourtant se porter sous leur responsabilité dans le cadre scolaire [7].

Tout se fonde finalement sur un parcours seulement personnalisé de l’élève, sans réalisme pédagogique et didactique, non-sens qui sert, de manière contradictoire, un discours institutionnel de réduction des coûts. L’accompagnement, sans socle commun d’apprentissages info-documentaires, ne relève alors que de guidages techniques de l’élève, sans développement des usages critiques. L’autodidaxie des élèves est un mythe, mais un mythe tenace que l’on retrouve en permanence dans les textes de la hiérarchie relatifs à la documentation en milieu scolaire de ces derniers mois.

Dans le rapport Bisson-Vaivre de novembre 2012, les considérations relatives à l’information-documentation se focalisent d’abord autour de l’Histoire des Arts (p. 17-20) [8], chantier récent qui a reçu l’intérêt des DA-SEN dans leurs observations. Si le professeur documentaliste peut en effet s’engager dans une telle option, permettant de mettre en valeur son rôle pédagogique, il n’en reste pas moins contraint sur des missions d’accompagnement, sans mise en œuvre systématique d’enseignements et apprentissages fondamentaux. Il est reproché finalement aux professeurs documentalistes de ne pas se jeter comme des bêtes sur les nouveaux dispositifs, sans reconnaissance évidente de leurs apports pédagogiques spécifiques. Certains entrent dans les nouveaux dispositifs, avec un plan de formation associé, une progression qui intègre l’ensemble des enseignements info-documentaires, tandis que d’autres, fatigués d’être renvoyés à un système de négociation permanente afin de légitimer leur rôle, estiment à juste titre qu’ils ne disposent pas d’un cadre pédagogique suffisamment propice à mettre en œuvre leur enseignement, sur des compétences qui puissent ensuite servir les disciplines et les dispositifs nouveaux.

L’adaptation professionnelle, quand les missions pédagogiques n’ont pas d’assises institutionnelles plus sérieuses, a forcément ses limites. Il est particulièrement choquant, là encore, de dresser cela comme des reproches qui pourraient être faits à la profession. Les inspecteurs, selon le rapport, se plaignent de séquences info-documentaires essentiellement tournées sur l’année autour des classes de Sixième (p. 19), alors que c’est significatif, justement, de ce que peuvent construire réellement les professeurs documentalistes, sans trop de souci, tandis que le reste est un combat continuel, de négociations qui n’aboutissent pas aisément, au contraire. Cela s’avère d’autant plus difficile que l’Inspection générale n’a pas pris en charge la reconnaissance du rôle pédagogique des professeurs documentalistes en matière d’éducation à l’information-documentation et d’éducation aux médias, sans formations continues satisfaisantes, au niveau national, sur l’aspect pédagogique.

On observe la défense d’une pédagogie informelle, sans réflexions didactiques, vers le développement d’apprentissages autonomes, contre des compétences communes pour lesquelles quantité de chercheurs estiment nécessaire la définition d’un cadre de référence, en information-documentation, par exemple sous forme de curriculum. On appréciera que le rapport Bisson-Vaivre souligne, à travers les mots d’un DA-SEN, la nécessité d’apprentissages fondamentaux dans le cadre du CDI, mais avec une frilosité d’explicitation, sur des termes creux, vagues, en somme bien peu satisfaisants : « la contribution experte et originale des professeurs documentalistes sur l’évaluation et la validation des compétences dans une logique transversale est encouragée » (p. 13).

La place du CDI dans le collège : une préoccupation constante

Les professeurs documentalistes ne s’opposent pas à ce que la place du CDI soit prise en considération, comme lieu spécifique, dans les établissements scolaires. Citons le rapport Saget, de mai 2011, ainsi en page 8 : « La réflexion sur les conditions de travail des élèves en dehors de la classe est trop souvent absente ; les traditionnelles ’’salles de permanence’’ ou ’’salles d’études’’ ne permettent pas d’étudier réellement et efficacement dans nombre d’établissements. L’accès au CDI est lui aussi insuffisamment pensé en relation avec les autres espaces d’étude et d’accès à l’information. » [9] Cette précision est intéressante à condition de ne pas poser la responsabilité d’une absence de réflexion sur le seul professeur documentaliste et de garder en tête que cet accès au CDI ne peut être pensé qu’en considération d’une particularité pédagogique qui le distingue d’un simple centre de ressources, sans qu’il soit satisfaisant d’un retour en arrière à ce niveau pour préférer une autonomie des usages, uniquement, qui n’apporte rien en termes d’apprentissages.

L’accès au lieu CDI doit être mieux pensé, mais sans renier son utilisation pédagogique par le professeur documentaliste, ce qui ne va pas sans une réflexion, mais prise en charge par les équipes de direction et les collectivités territoriales, en prenant conscience d’un problème des services externes aux établissements scolaires, à favoriser l’ouverture culturelle et l’accès privé aux ressources pour les élèves... Pour le dire autrement, le CDI n’est pas un espace réservé au seul temps libre des élèves, il accueille des séances pédagogiques, sur des enseignements et apprentissages nécessaires et variés, pour développer et favoriser un usage critique et raisonné des ressources documentaires, pour permettre l’appropriation critique de la culture informationnelle. Il est bien dramatique de devoir le rappeler sans cesse et de constater continuellement que l’Inspection et les acteurs de la Vie scolaire considèrent toujours les professeurs documentalistes et les CDI comme des objets annexes à la Vie scolaire, sans plus de considération que cela pour les missions construites autour de ce personnel et de ces espaces, dans une remise en question précipitée, sans assises théoriques solides. On ne peut dissocier complètement le CDI et le professeur documentaliste, tout comme le professeur documentaliste assure aussi son enseignement dans d’autres lieux de l’établissement. Ces remarques ne sont d’ailleurs pas en contradiction avec le rapport Saget (page 17).

Mais il s’est opéré un glissement, du fait que dans les réalités les préoccupations sont faibles de la part de l’équipe de Vie scolaire, vers l’inscription illégitime du professeur documentaliste dans cette équipe, avec une charge souhaitée par l’Inspection d’organiser surtout un service complémentaire. Le professeur documentaliste ne peut pourtant servir de cache-misère, d’autant que la démarche proposée par l’institution suppose en fait la transformation du centre de documentation et d’information en espace informel de travail, confondu avec les autres espaces, sans distinction propice à des enseignements et apprentissages spécifiques.

Le rapport Bisson-Vaivre, de novembre 2012, malgré quelques points positifs, peut être considéré, à travers des extraits de rapport « bien choisis » et non sourcés, comme un moyen de contribuer à cette marche forcée du Learning Centre ou des 3C [10]. Il paraît toujours plus difficile de faire la distinction entre un rapport objectif et un outil efficace, car autoritaire, de communication. On lit ainsi en page 7, pour créer une « opportunité » sur des considérations qui peuvent être totalement isolées mais qui collent aux perspectives officielles :

Mais l’idée de tutorat avance et certaines initiatives, bien que peu nombreuses, méritent d’être mises en valeur : ici dans le cadre de la mise en place d’un « learning-center par des professeurs documentalistes, là pour lutter contre le manque d’ambition d’élèves en milieu géographique isolé ». Là où le tutorat se met en place, des enquêtes montrent que « les élèves jugent ce dispositif utile et qu’ils apprécient la relation de confiance et d’accompagnement mise en place par le tuteur ».

Dans ce rapport, l’idée du Learning centre revient comme un leitmotiv inquiétant, ce qui pose la question des limites objectives du texte vis-à-vis des observations de la pratique et des préoccupations des enseignants documentalistes. Il paraît par exemple incompréhensible de lire que les jeunes enseignants documentalistes sont favorables aux 3C (p. 20), avec en fait, dans ce propos, un glissement insidieux de leurs attentes vis-à-vis des ressources documentaires numériques, en particulier pour des apprentissages info-documentaires, relevées fort justement depuis plusieurs années, vers l’adhésion à un concept institutionnel neuf et problématique en termes de charges gestionnaires accrues et de formations fondamentales minorées.

De l’information-documentation à la ressource numérique...

Dans la préparation du 35e colloque national de l’Association française des acteurs de l’éducation (AFAE), qui aura lieu à Lille les 22, 23 et 24 mars 2013 sur le thème : "Vers quelles organisations scolaires à l’ère du numérique ?", Jean-Louis Durpaire et Paul Mathias présentent un texte intitulé « Apprendre dans la société numérique : temps, lieux, ressources, attitudes » [11]. Au-delà de considérations intéressantes au sujet des temps de l’éducation et de l’instruction, sans que les termes soient toujours clairs, avec des renvois à des conceptions trop anciennes, sans les définir, il est autre chose que d’insulter le travail des acteurs éducatifs au sujet des lieux :

Et, dans le secondaire, on trouve aussi deux autres espaces qui se révèlent en concurrence sans que l’on sache bien pourquoi : d’une part, des salles d’étude ou de permanence, d’autre part des centres de documentation et d’information (CDI). Or, on ne s’interroge guère sur leur raison d’être et l’on ne se préoccupe pas de savoir en quoi le numérique bouleverse de tels espaces. » On lit aussi que « [les] débats des documentalistes sur les listes de diffusion attestent de réticences pour [que] les élèves ’’fassent leurs devoirs’’ au CDI, sans qu’aucune réflexion n’ait pourtant été menée dans ces établissements sur le sens des lieux.

Nouvelle facilité dans le discours, on retrouve le souhait de transformer le CDI en lieu ouvert de vie scolaire, faute de proposer les moyens de transformer les salles d’étude. La lecture de Condorcet, amenée pour soutenir l’éducation à l’information et aux médias [12], est dissoute dans une priorité gestionnaire qui ne répond pas aux enjeux pédagogiques liés au développement numérique. La lecture proposée est piégée dans un carcan politique et financier, qui pose des freins importants à l’innovation pédagogique - l’éducation à l’information et aux médias n’a pas tellement progressé depuis 20 ans, sans qu’on puisse le reprocher aux acteurs pédagogiques ou aux collaborateurs du CLEMI. On lit que,

[dans] la société numérique, la question de l’acquisition des ressources doit être totalement repensée, non, d’abord, sur le plan des techniques intellectuelles à mettre en œuvre, mais sur le plan de l’administration et de la gestion du dispositif offert aux enseignants et aux élèves. Peut-on ainsi maintenir plus longtemps une distinction budgétaire entre les manuels scolaires et les ressources du CDI ? Faut-il revoir les lignes des budgets des EPLE ? Et est-il raisonnable de concevoir des politiques d’acquisition dans chaque collège, chaque lycée, sans concertation entre eux ? Comment concilier la liberté pédagogique et la réflexion concertée sur un territoire pour une politique d’acquisition de ressources ?

Le problème de ces assertions et de ces questions, ce n’est pas tant leur pertinence, dans certains cas, que le fait que le seul levier proposé ensuite, c’est le travail du professeur documentaliste, tout en l’éloignant de la pédagogie...

Pour ce même colloque, les mains totalement libres, sans références, Jean-François Cerisier et Bruno Devauchelle, qui s’intéressent aux usages des technologies numériques dans le champ de l’éducation, depuis l’université de Poitiers [13], dégagent une dimension « information communication documentation », dans leur réflexion sur le développement numérique au sein des établissements scolaires. Sans considérer les enjeux de l’enseignement info-documentaire, du développement de la culture informationnelle des élèves, ils proposent là encore une définition réductrice des missions du professeur documentaliste, sur le même argumentaire qui relève d’une facilité d’organisation qui minore les aspects pédagogiques spécifiques de cet acteur enseignant de l’EPLE :

La création de sites internet d’établissements, la mise en place d’outils de circulation d’informations internes, et plus largement le développement de formes numériques de communication deviennent l’ordinaire des établissements scolaires. Le pôle documentation des établissements scolaires est longtemps resté en marge de ces activités du fait même de la spécificité des CDI. Le rapide développement d’internet a été accompagné de réflexions sur l’évolution de l’établissement et en particulier de la politique informationnelle et communicationnelle. Or le développement d’outils de documentation ouverts sur l’extérieur (BCDI web, portails netvibes…) amène désormais à intégrer dans un même ensemble ces deux domaines longtemps séparés. La circulaire sur le fonctionnement du conseil pédagogique insistait déjà sur la présence des enseignants documentalistes dans cette instance. Les projets de circulaire du métier envisageaient fortement l’hypothèse d’une responsabilité plus large de ces personnels dans la politique numérique de l’établissement. La gestion technique des outils d’information et de communication d’un établissement scolaire ne peut suffire. Le pilotage des flux d’information et de communication se professionnalise de plus en plus dans de nombreuses organisations, tant ils sont devenus un élément fort de l’identité interne et externe de l’établissement. La responsabilité du pilotage de cet aspect du numérique dans l’établissement ne peut être complètement déléguée. Elle suppose une implication personnelle et un pilotage fort des acteurs.

On confond allègrement le pédagogique et le communicationnel, en estimant que l’incompétence des uns fait la compétence exclusive de l’autre, que l’incohérence politique d’un EPLE, lié à son pilotage, doit faire place à une cohérence unique autour d’un pôle créé de toute pièce pour satisfaire à l’administratif. Les termes de professionnalisme et de responsabilité viennent excuser vingt années d’un immobilisme gestionnaire, parmi tous les acteurs de l’EPLE, qui mène à cette facilité de décharger l’ensemble des échanges numériques autour d’une seule personne, au détriment de ses autres missions.

Ainsi le professeur documentaliste, dans ces contributions récentes, n’est plus spécialiste pédagogique et gestionnaire de l’information-documentation, pour les élèves, mais prestataire d’un service d’accès aux ressources, au sens le plus large du terme, sous le truchement de glissements incompréhensibles. Relégué à l’accompagnement éducatif, il se voit remettre l’obligation, en perspective, de gérer les manuels scolaires parce que ce sont des livres (vieil argument du chef d’établissement que l’on ne pensait quand même pas voir un jour sortir de cette autre plume), de gérer la communication aux familles sur le web parce qu’il s’agit d’information, à partir de quoi tous les dérapages sont possibles, vers la gestion des questions de l’orientation [14], vers la gestion des ressources des enseignants, vers l’écriture centralisée de leurs articles à mettre en ligne, vers la mise à disposition au CDI d’une offre en ligne de soutien scolaire... On croit rêver. Ou plutôt, on garde espoir que ce n’est qu’un simple cauchemar, qui va passer...

Conclusion :

contre le « retour aux sources », pour un bond en avant !

Dès qu’une discussion s’amorce sur les 3C, fausse utopie de changement des CDI, il s’agit de mettre en avant les besoins humains et matériels, sans aucune perspective en ce sens pourtant de la part de l’IGEN, des académies, des rectorats, des collectivités territoriales, ou dans une communication qui concerne quelque lycée professionnel ou quelque collège ECLAIR en rénovation ou disposant de crédits confortables [15]. Cela relègue au loin, au moins quand on aborde cette question, le sujet pédagogique, didactique, ce qui ne signifie pas que les professeurs documentalistes abandonnent au quotidien, loin de là, cet aspect essentiel de leur métier.

Autre point de discussion, quand il s’agit de penser le rôle et la place du CDI, comme chaque professeur documentaliste s’y engage depuis la circulaire de 1986, c’est le problème de pilotage qui existe dans beaucoup d’établissements, avec les chefs, avec les CPE, avec les AED. Il n’est pas question de rejeter la faute sur les uns ou sur les autres, mais bien de préciser que l’absence de communication vient généralement d’une simple absence de moyens, qui bloque les réflexions sur la gestion des lieux, responsabilité des chefs d’établissement et des collectivités territoriales, en respect des nécessités pédagogiques, ou bien encore d’une simple incohérence globale au sujet des missions et de leurs connaissances, sans que ce blocage soit levé par l’Inspection quand elle fait tout reposer sur le professeur documentaliste et le CPE...

Le bond en avant, c’est la définition et le développement d’un curriculum info-documentaire, vers la reconnaissance d’un domaine d’enseignement qui relève des compétences spécifiques du professeur documentaliste, avec et sans collaboration avec les professeurs des disciplines. D’ailleurs le projet de loi d’orientation permet cette mise en valeur d’un tel enseignement spécifique, par exemple dans l’article L. 312-9, même s’il n’est pas parfait, pour une ’’formation à l’utilisation’’ ou une ’’sensibilisation’’, quand l’ambition éducative peut être bien plus grande [16]. Le problème de cet article, c’est qu’il renvoie par la suite à l’article L. 332-5, qui pose que la discipline Technologie serait dispensatrice de cet enseignement, sans la spécialisation adéquate en termes d’usages critiques et d’appropriations de compétences info-documentaires. A ce niveau, le développement suivant pose question : « Au collège, l’initiation technologique comprend une éducation aux médias numériques qui initie les élèves à l’usage raisonné des différents types de médias et les sensibilise aux enjeux sociétaux et de connaissance qui sont liés à cet usage » (annexe du projet de loi d’orientation, p. 40). En effet, il s’agit là d’un projet bien insuffisant, avec la richesse souhaitable, en construction dans certains EPLE, d’une complémentarité des enseignements, technologiques d’un côté, info-documentaires de l’autre, avec des liens à tisser entre les enseignants de technologie et les enseignants documentalistes afin de favoriser des compétences d’utilisation, du ressort de l’initiation technologique, et des compétences d’usage critique, en particulier en termes de ressources documentaires, du ressort des apprentissages info-documentaires.

Contre un service de documentation globalisé dans les mains d’un seul acteur, il convient de redéfinir les relations de chaque membre du personnel d’un EPLE avec le numérique, avec une intégration des enjeux des changements induits par son développement dans les formations continues à apporter au personnel administratif et au personnel enseignant. Le professeur documentaliste doit préserver, consolider et développer son rôle gestionnaire et pédagogique auprès des élèves, essentiellement. La nécessité présentée par certains de changer une circulaire qui a maintenant près de 27 ans, ne doit pas être le prétexte à dénaturer les missions essentielles et toujours si nécessaires du professeur documentaliste, qui peut et doit assurer un enseignement fondamental à l’information-documentation, qui peut et doit prendre une part active au développement de l’éducation aux médias.

Documents joints

Notes

[1Les académies de Lille, Dijon, Bordeaux, Rennes et Versailles sont particulièrement touchées par ce mouvement, tout au moins en termes de communication de la part des DA-SEN et/ou des équipes TICE. L’ADBEN Versailles propose deux textes de réflexion et d’interrogation sur ce sujet : disponibles sur http://fadbenversailles.hautetfort.com/archive/2013/02/12/billet-d-humeur-intertice-2013-285-professeurs-documentalist.html (12/02/2013) et sur http://fadbenversailles.hautetfort.com/archive/2013/02/14/ou-sont-passees-les-missions-pedagogiques-des-professeurs-do.html (14/02/2013).

[2Présentation disponible en PDF à l’adresse suivante : http://www.stef.ens-cachan.fr/manifs/sem_ens_tic/index.html. Consulté le 04/02/2013.

[4« Le travail autonome : comment aider les élèves à l’acquisition de l’autonomie », 2008. Disponible sur : http://www.cndp.fr/savoirscdi/cdi-outil-pedagogique/apprentissage-et-construction-des-savoirs/education-et-pedagogie/le-travail-autonome-comment-aider-les-eleves-a-lacquisition-de-lautonomie.html. Consulté le 10/02/2013.

[5« Fiche de Vincent Liquète », disponible sur : http://gccpa.u-bordeaux4.fr/index.php/equipe-et-contacts/88-fiche-de-vincent-liquete. Consulté le 10/02/2013.

[6La contribution de Yolande Maury au colloque international organisé à Bordeaux en septembre 2008 autour de l’épistémologie, est éclairante à ce sujet : « Penser et situer la didactique de l’information-documentation en formation des maîtres : quelle place pour la culture épistémologique ? », disponible sur http://hal.archives-ouvertes.fr/docs/00/61/74/12/PDF/Maury_penser_situer_didactique_ID_2008.pdf. Consulté le 22/07/2014.

[7La seule démarche pédagogique prend forme dans le PACIFI, parcours de formation à la culture de l’information, en 2010, disponible sur : http://eduscol.education.fr/numerique/actualites/veille-education-numerique/octobre-2010/parcours-formation-culture-information. Il s’agit avant tout d’un ensemble de fiches pratiques, sur un système transversal, procédural, la seule nouveauté se trouvant dans l’expropriation des compétences pédagogiques spécifiques du professeur documentaliste, en recyclant des présentations de possibles séquences pour des professeurs de discipline qui n’ont ni le temps ni les compétences de les mettre en œuvre. Voir l’analyse de Pascal Duplessis, en cinq articles sur Les Trois Couronnes : le premier disponible sur : http://lestroiscouronnes.esmeree.fr/table-ronde/1-le-pacifi-un-ocean-de-questions-introduction-a-une-analyse-critique-du-document-pacifi.

[8IGEN. « Observations sur les établissements et la vie scolaire en 2011-2012. Synthèse nationale des rapports de spécialité des inspecteurs d’académie-inspecteurs pédagogiques régionaux « Établissements et vie scolaire. Rapport n°2012-136 ». Novembre 2012. Disponible sur : http://cache.media.education.gouv.fr/file/2013/77/4/Rapport_2012-136_EVS_2011-2012_240774.pdf. Consulté le 10/02/2013. Mise à jour. Au 27 mars 2013, il s’avère que le fichier n’est plus disponible en ligne, je le propose donc en téléchargement ici :

Rapport Bisson-Vaivre - Novembre 2012

[9IGEN. « Principe pour l’élaboration d’une politique éducative d’établissement. Rapport n°2011-49 ». Mai 2011. Disponible sur : http://cache.media.education.gouv.fr/file/2011/56/1/2011-049-IGEN_215561.pdf. Consulté le 10/02/2013.

[10IGEN. « Observations sur les établissements et la vie scolaire en 2011-2012. Synthèse nationale des rapports de spécialité des inspecteurs d’académie-inspecteurs pédagogiques régionaux « Établissements et vie scolaire. Rapport n°2012-136 ». Novembre 2012. Disponible sur : http://cache.media.education.gouv.fr/file/2013/77/4/Rapport_2012-136_EVS_2011-2012_240774.pdf. Consulté le 10/02/2013.

[11Disponible sur : http://www.afae.fr/spip.php?article342. Consulté le 10/02/2013.

[12Comme nous l’avons déjà mis en avant dans l’article « Condorcet, l’info-doc et les TICE ». 12/11/2012. Disponible sur : http://profdoc.iddocs.fr/spip.php?article25.

[13On peut se reporter à la vidéo de présentation de l’EA TECHNE par Jean-François Cerisier, sur le site de la MRSH de l’Université de Poitiers, disponible sur : http://mshs.univ-poitiers.fr/mshs/spip.php?article197.

[14On peut lire pour illustration en page 16 du rapport Bisson-Vaivre : Le « transfert de charge » en direction des professeurs principaux et/ou documentalistes est dans ces conditions diversement apprécié. Pour certains, il correspond à une évolution naturelle - car fonctionnelle - correspondant à la présence d’un « Kiosque Onisep » dans les CDI. Pour d’autres il résulte d’une pénurie de professionnels qualifiés dédiés à l’information spécialisée et au conseil en orientation.

[15Tout le monde connaît le lycée Emile Mathis de Schiltigheim, avec la vidéo disponible sur Eduscol : http://eduscol.education.fr/cid59679/les-centres-connaissances-culture.html (« Les centres de connaissances et de culture », in Eduscol, 18/12/2012. Consulté le 13/02/2013). On prépare aussi le ’’collège de demain’’, dans les Yvelines, en prenant un seul exemple, le collège ECLAIR de Chanteloup-les-Vignes, avec 250 élèves, un taux H/E qui varie de 1,50 à 1,60 selon les années ; le CDI reste CDI, mais intégré dans "ce nouveau lieu de connaissances et de culture" avec les salles d’étude, une salle équipée d’une classe nomade, sans qu’on ait l’impression de pouvoir organiser de séances pédagogiques dans le CDI (on parle de groupes, d’accompagnement...). D’ailleurs, le professeur documentaliste, il n’est pas là, alors qu’on parle du lieu dont il est gestionnaire, à tout bout de champ, on voit tout le monde sauf lui. Voici le lien vers la vidéo : http://www.crdp.ac-versailles.fr/Les-actualites/Vers-le-college-de-demain (« Vers le collège de demain », in CRDP Académie de Versailles. 11/02/2013. Consulté le 13/02/2013).

[16Projet de loi d’orientation, cité à partir de l’article du Café pédagogique : "Ce qui attend l’École : la loi d’orientation dévoilée". 06/12/2012. Disponible sur : http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2012/12/06122012Article634903748740014686.aspx. Consulté le 14/02/2013. Rapport au format PDF disponible sur http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Documents/docsjoints/loidorientation.pdf (article cité en page 4).

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1 Message

  • La marche forcée des 3C Le 18 février 2013 à 17:22, par bégeault

    Bonjour,
    merci de votre texte long et bien documenté. Il est vrai que dans mon académie (Nantes), la marche en avant est moins forcée, mais on y tend.

    Ce qui est incroyable de noter c’est que la très grande majorité des docs sont dubitatifs, voire contre dans certains cas, la mise en place des 3C telle qu’elle est posée actuellement, mais que cela ne pose pas de problème pour l’administration et les inspecteurs. Je me rappelle même d’avoir lu un compte-rendu de réunion dans une académie de l’ouest (Rennes il me semble), où un inspecteur avait été chahuté par des docs en colère contre la présentation idyllique des 3C. Qaund est-ce que les inspecteurs vont-ils se réveiller ?

    en tous cas, il est clair que présenter les 3C comme une évolution du CDI est une erreur. Ce n’est pas une évolution, une piste possible pour changer le CDI pourquoi pas. Encore que ... Les docs n’ont pas attendu les 3C pour moderniser leur lieu de travail.

    En conclusion, présenter les 3C comme une mise à jour du CDI est une erreur, car l’on ne voit que le prisme du technologique, et qu’on occulte la question du sens de nos pratique avec le numérique.

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